Par Julien Beaulieu et Stéphanie Bénard
C’est maintenant clair : ce ne sont plus que les chanteurs et les comédiens qui remplissent les salles de spectacle. L’humour est omniprésent dans la culture québécoise au point où il en devient un de ses traits caractéristiques. Les spectacles des humoristes québécois sont bien différents de ceux de leurs homologues français ou canadiens-anglais. Montréal et Québec ont leurs festivals d’humour et certains dérivés, soit respectivement les soirées Juste pour Rire et le Comédie Club, dureront tout l’hiver 2014-2015.
Les diffuseurs régionaux ne sont toutefois pas en reste et cumulent les initiatives pour profiter de ce marché lucratif. C’est ainsi qu’en Outaouais, chaque jour semble avoir son humoriste attitré. La Salle Odyssée a développé cet automne les Lundis de l’humour, en collaboration avec Juste pour Rire. Le principe : un animateur est accompagné d’humoristes qui se relayent, le tout offert à petit prix. Le mardi, c’est le tour des Mardis de l’humour du Club Addiction, avec une formule semblable. À cela s’ajoutent les tournées panquébécoises des humoristes grand public, qui s’assurent de venir visiter les salles de la région. Cet exemple n’est qu’un aperçu du phénomène qui se retrouve à travers la majorité des régions du Québec.
Le portrait est, dans l’ensemble, semblable à Sherbrooke, quoique chaque salle n’accorde pas à l’humour la même importance. En effet, ce printemps, le Théâtre Granada (incluant les spectacles présentés au Boquébière) n’offre que trois spectacles d’humour (Sexe illégal, Réal Béland et Clémence Desrochers), alors que le Centre Culturel en présentera au total 26 d’ici juillet 2015.
En fin de compte, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Notons par exemple l’évolution des arts de la scène au Québec depuis 2004, selon des rapports consultés sur le site de l’Institut de la statistique du Québec. Les spectacles de variétés, comprenant l’humour, la comédie musicale, le cirque, la magie et le music-hall, récoltent chaque année le plus grand pourcentage des revenus de billetterie au Québec pour tous les arts de la scène confondus, variant de 29 % à 42 %, à l’exception de 2008 où la catégorie des chansons dans une autre langue a pris les devants avec 32 %. Les spectacles de variétés maintiennent donc un bon pourcentage des revenus des salles de spectacle, entre autres grâce à un prix plus élevé par billet. L’assistance en salle pour ces types de prestation demeure quant à elle constante et supérieure aux autres disciplines.
Mario Trépanier, directeur du Centre Culturel de l’UdeS, confirme la tendance : « Même s’il y a des exceptions, dit-il, en moyenne, c’est l’humour qui se maintient le mieux ». En entrevue avec Le Collectif, il explique que ce n’est pas tant la croissance de l’industrie humoristique qui est notable que le recul de la demande pour les spectacles de musique. « Avec les nouvelles technologies, le public fait [sic] face à une offre éclatée et impressionnante. Le marché est donc de plus en plus segmenté. » Auparavant, le public devenait donc fidèle à certains artistes et n’hésitait pas à se déplacer d’année en année pour voir leurs spectacles. Ainsi, M. Trépanier donne l’exemple du groupe Alain Morisod Sweet People : « C’est un groupe qui ne produit aucun nouveau matériel et qui n’a aucune présence au Québec depuis les dernières années. Et pourtant, lorsque ses membres se déplacent, ils remplissent encore leurs salles. Leur public d’il y a trente ans les suit encore. » Il serait ainsi plus difficile de fidéliser la nouvelle génération à un certain nombre d’artistes, celle-ci portant son attention sur des dizaines, voire des centaines d’artistes différents.
Somme toute, l’offre sherbrookoise en humour reste impressionnante. Et c’est sans parler des Rigolades, qui ont lieu tous les dimanches dans un bar de la rue Wellington dont on taira ici le nom. Mais que cache vraiment cette demande pour l’humour au Québec? Selon certaines théories en psychologie, le rire correspond à la libération de tensions accumulées dans les différentes sphères de notre vie. C’est même parfois perçu comme un symptôme qui cache certains troubles. Au Québec, 10 % à 15 % des gens souffriront de dépression au cours de leur vie, selon l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. D’ailleurs, au Canada, ce sont 20 % des travailleurs qui souffriront d’une maladie liée au stress cette année. Il semble qu’on veut rire simplement, car on en a besoin. La vie n’est pas toujours drôle. Déléguons aux humoristes le rôle d’atténuer cette tendance.