Par Félix Morin
Qui ne se souvient pas du «débat» sur la Charte des valeurs québécoises et de la question des signes religieux ostentatoires? Cela a fait couler beaucoup d’encre et le réflexe a trop souvent pris la place de la réflexion dans le débat public. Or, sous la direction de Denis Jeffrey, les excellentes Presses de l’Université Laval ont fait paraître le livre Laïcité et signes religieux à l’école. Loin du réflexe, de nombreux auteurs importants (Jean Baubérot, Georges Leroux, Gérald Bouchard, Jocelyn Maclure, etc.) nous amènent plus loin dans cette dialectique difficile parfois entre libertés individuelles et la laïcisation de l’école.
Nous savons qu’un débat est chaud et difficile lorsque, comme journaliste et critique, nous savons que chaque mot est important dans un article. Or, c’est justement dans ces moments que la pensée des intellectuels est importante. Or, ce livre est une pierre importante dans un débat qui met du temps à se construire sur des assises positives.
Je ne sais pas comment a fait M. Jeffrey pour avoir toutes ces personnes, mais il s’agit réellement d’un coup de maître. Dès le deuxième chapitre, Jean Baubérot, grand intellectuel français, rappelle qu’en France que présentement, on assiste à une «religion républicaine» qui, sous prétexte que l’école est un «sanctuaire républicain», on doit enlever à l’école le foulard comme à la mosquée on enlève nos souliers, ne se rendant pas compte qu’on compare justement l’école à la religion.
Par après, Georges Leroux, dans son texte, Le visage de l’état: neutralité et apparence de neutralité dans le débat sur la laïcité, s’attaque à un argument de Guy Rocher selon lequel le «respect des convictions en matière de religion de toutes les «clientèles» qui recourent aux services d’institutions publiques financées par des fonds publics a priorité sur les convictions de tout le personnel de ces institutions». Argument complexe, pertinent et dont il est important de voir s’il résiste à la critique. Ici, Leroux rappelle la distinction importante entre la société libérale, où les droits des États sont moins importants que ceux des individus qui composent l’État, et la société républicaine, où l’identité de la société est prioritaire. Il rappelle aussi que dans ce type d’argument, il y en a un autre qui est, par la «neutralité de l’état, de supprimer le visage de la diversité au cœur même de l’État. Nous voyons ici que Rocher propose une laïcité à la française et républicaine. Malheureusement, je n’ai pas le temps d’entrer dans le détail de l’argumentaire, mais l’idée la plus intéressante à soumettre à nos lecteurs est celui du fait que, justement, parce que nous sommes dans une société libérale que les minorités sont mieux protégées. Preuve de cela, le Québec, car si le Canada était un régime républicain, tel que le propose Rocher, toute protection de notre diversité serait disparue sous l’idée de ne faire qu’un comme nation.
Ensuite, il y a le trop peu connu, mais toujours pertinent Gérald Bouchard, partisan d’une laïcité inclusive basée sur l’interculturalisme. Il rappelle le fait que l’idée de laïcité propre à la Révolution tranquille était liée à la séparation de l’Église et de l’État et non pas sur les signes religieux ostentatoires. Par contre, il rappelle aussi qu’il n’y a pas des droits absolus et qu’il faut les discuter dans une démocratie qui se respecte. Par contre, il dit que pour contraindre un droit il faut être capable d’invoquer un motif supérieur capable de passer le test des tribunaux.
En somme, et j’aimerais écrire sur les autres propositions, je regrette seulement le peu de personnes qui se disent pour une laïcité totale au sein de l’école. Il y a, selon la lecture qu’on peut faire, de 3 à 4 intervenants en ce sens, mais sur le total, c’est bien peu. Aussi, la conclusion de Jeffrey fait une conclusion qui ressemble davantage à une prise de position. Terminant par les arguments antiprohibitionnistes, il me semble faire du mal au livre. Un livre si ouvert et qui permet réellement de réfléchir se termine en 10 réponses point par point aux abolitionnistes. C’est l’impression que j’ai eue et peut-être que je me trompe, mais cela m’a laissé un goût amer.
Bon livre qui mérite d’être lu et dont l’esprit de réflexion et de critique constructive doit s’établir aussi dans le débat public.