La dette, pour plusieurs personnes, est un fait social e´tabli et une pre´occupation constante. Dans son livre Dette : 5000 ans d’histoire, David Graeber, docteur en anthropologie, e´conomiste, professeur a` la London University et initiateur d’Occupy Wall Street a` New York, nous propose de prendre le concept de « dette » et de le mettre dans une perspective historique pour mieux comprendre.
Fe´lix Morin
Rares sont les livres qui sortent autant des sentiers battus que celui-ci! David Graeber met de co^te´ toutes les ide´es pre´conc¸ues au sujet de la dette. Son outil, 5000 ans d’histoire pour avancer des preuves et pour faire un portrait de l’e´volution du concept de « dette ».
Or, plusieurs ide´es pre´conc¸ues sont attaque´es. Par exemple, il soutient l’ide´e, preuves anthropologiques a` l’appui, que le syste`me de cre´dit a pre´ce´de´, et de loin, l’apparition de la monnaie.
Pour cet « anthropologue anarchiste », l’endettement est une construction sociale fondatrice du pouvoir. En fait, il de´montre que la dette occupe un statut moral particulier dans nos socie´te´s. Par exemple, il donne l’exemple que, pour bien des gens, il est totalement immoral de laisser mourir un enfant de faim ou de ne pas lui donner les me´dicaments qu’il a de besoin pour vaincre une maladie grave. Par contre, si un pays du tiers-monde est lourdement endette´, la « communaute´ internationale » n’aura aucun proble`me a` appliquer dans ce pays des politiques d’auste´rite´ qui feront en sorte que des enfants vont mourir de faim et que des me´dicaments ne seront finalement pas donne´s. Graeber va me^me jusqu’a` dire que le seul proble`me moral qui pourrait arriver, aux yeux des observateurs, serait que ce pays ne rembourse pas ses dettes. Il avance me^me que l’histoire de´montre que la meilleure manie`re de justifier des relations fonde´es sur la violence et de les faire passer pour morales est de les orienter en termes de dettes.
A` mes yeux, le segment le plus inte´ressant du livre est celui sur le troc. On y apprend que ce qui nous est enseigne´ au secondaire, souvent, est en fait une fiction totale et que cela provient de ce qu’Adam Smith a e´crit dans son livre La richesse des nations. On y apprend que le troc tel qu’avance´ par Smith n’a aucune base anthropologique. En fait, les cas de troc de´montrent et soutiennent le fait qu’une certaine forme de cre´dit a bel et bien pre´ce´de´ l’apparition de la monnaie.
La plus grande partie du livre est axe´e sur l’histoire de la dette. Selon ce qu’ame`ne l’auteur, le sang et la violence semblent re´ellement e^tre les bases du syste`me e´conomique actuel. Cette section volumineuse est particulie`rement inte´ressante et permet de faire le pont entre ce que l’auteur annonce au de´but et la solution qu’il proposera a` la fin.
Apre`s tout ce que Graeber dit, il ame`ne une solution. Une solution pour le moins originale aux dettes mondiales. Il propose un « jubile´ de type biblique » qui ferait en sorte que toutes les dettes, celles de pays et des particuliers, seraient a` 0. Est-ce que cette solution est probable a` court ou a` moyen terme? Non! Par contre, l’avenir nous forcera peut-e^tre a` tenir en compte cette solution originale, simple, mais lourde en termes de conse´quences imme´diates dans le syste`me capitaliste actuel.
Un livre a` lire absolument.