Aux heures identitaires, se dissoudre 

Par Pascal Rodio, Responsable la section Librairie, Campus UdeS de Longueuil 

Parvenus en brochette à la tête de nos chez nous, quelques blancs fantômes ravivent un passé qu’on espérait révolu. Parmi les questions fondatrices de la nation, celle de l’identité est à nouveau tordue en affirmation : qui fait somme, pourquoi et comment ? devient un banal et névrotique nous sommes, voilà le pourquoi et le comment 

L’identité comme bannière pour partir en guerre. Une crispation des temps de crise : besoin de frontières et d’entre-soi, de construire une arche pour se sauver du grand bain des catastrophes qui nous traversent, tristement universelles.  

L’identité comme terminus. Un choix discutable quand on se rappelle qu’un nombril est un syphon.   

Bref. Avant de penser au thème de l’identité pour cette chronique, je comptais écrire sur l’œuvre qui va suivre sous un prisme plus léger. Je me questionnais, tout simplement, sur les ingrédients d’un récit vivant. Pas réaliste. Vivant.  

Pour ma part, c’est bien souvent une affaire de personnages et de décors, de faune et d’interactions, d’égards et de couleurs : je crois que ce qui vit, c’est la multitude qui s’agence dans l’inattendu, l’impromptu, le survenu. Je caresse cette idée de la vie : c’est le défi lancé à la norme, la fleur qui se joue du cadastre, l’impossible qui perle dans le désert. Ce qui vit ne se prédit pas et s’explique mal. Cela se découvre.  

Dans Rue des maléfices: Chronique secrète d’une ville, Jacques Yonnet nous entraine dans son Paris à lui. C’est l’occupation. Il est résistant, artiste et très affairé à capturer en mots et en dessins l’essence du monde qui l’entoure. Monde qui n’a d’ailleurs pas retenu son souffle. Malgré la guerre et les nazis, la vie, encore elle, continue à filer.  

Sa ville, parlons-en. Un léviathan : une entité plus grande que la somme de ses parties. Plus grande donc que ses pierres, ses siècles et les âmes qui foulent ses pavés.  

Au creux de venelles sombres et de hauts-non-lieux, Yonnet mène l’enquête sur Paris. Ou plutôt, il reste en quête dans son affût permanent. En quête de tout, des miettes et des bribes qui font tableau. Lui est là, au milieu de la toile, au nœud des destinées croisées, et il s’abandonne complètement aux légendes et superstitions qui affluent vers lui. Le résultat est inquiétant, drôle et touchant. 

Les soirées chez Pignol, les apparitions du Vieux de Minuit, Mina et ses chats, la cavale de Danse-Toujours, le Dormeur du Pont-au-Diable, les pouvoirs d’une poupée en bois d’épave…  

Jamais Paris ne m’avait parue si habitée. Cela tient autant aux talents de conteur de Yonnet qu’à sa démarche. Pour produire pareille œuvre à pareille époque, si riche témoignage, je l’imagine avoir vécu une vie pleine : immergé jusqu’au cou, tous et toutes pores/ports/portes ouverts ou ouvertes.  

Raccrocher les wagons, quant à l’identité, finalement.  

Le récit de Yonnet m’inspire un courage de vivre, une perméabilité à l’altérité, une ouverture à ce qui m’est étrange. Car là, seulement dans cette posture, je touche la substance de ce qui m’entoure.  

Une idée pour nos lendemains. Enfants de l’immensité, peut-être mieux-vivrions-nous en célébrant la volatilité de toutes identités : zèbres et fauves, fissurées, rapiécées, tricotées en rondes et en chorales, galopantes, vaines et virtuoses, sublimes.  

Dans tous les cas, vivantes et bien là. Regardez, c’est beau.   

Le titre mentionné dans la chronique est disponible à la Coopérative : en magasin, sur les deux campus, ou en ligne : usherbrooke.coop 

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