Alanis Obomsawin une flamme éternelle 

Par Elizabeth Gagné  

Alanis Obomsawin en train de dormir sur une roche avec sa caméra lors des évènements à Kanesatake en 1990. 

Flamme, symbole de l’espoir, de la résilience et de la création. C’est ce qui décrit le mieux Alanis Obomsawin à mes yeux. Dans le cadre de l’exposition en cours au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) dédiée à Mme Obomsawin et intitulée Les enfants doivent entendre une autre histoire, il est question de rendre hommage à cette femme abénaquise en mettant de l’avant le plan le travail de sa vie. Inspiré par cette exposition, le présent article est dédié à cette femme plus grande que nature.  

Alanis Obomsawin possède de multiples flèches à son arc : cinéaste, chanteuse, artiste, et conteuse, elle est l’une des cinéastes documentaires les plus éminentes au Canada. Selon l’Encyclopédie canadienne, « elle a commencé sa carrière en tant que chanteuse et conteuse professionnelle avant de se joindre à l’Office national du film (ONF) en 1967. Ses films primés abordent les luttes des peuples autochtones au Canada, selon leur point de vue, et ils mettent en valeur leurs voix qui ont depuis si longtemps été marginalisées ».  

Parmi ses réalisations les plus marquantes, on y trouve le film Kanehsarake, 270 ans de résistance. Ce documentaire, disponible gratuitement sur le site de l’ONF, offre un regard sincère et inédit sur la réalité des évènements du point de vue des Mohawks de Kahnawake, qui ont résisté pour que leur cimetière ancestral ne soit pas démoli pour devenir un terrain de golf. En tout, c’est plus d’une cinquantaine de films qu’elle a réalisés avec comme thématique centrale les perceptions et les droits autochtones. 

Alanis Obomsawin enregistre, en 1988, son album intitulé Bush Lady aux racines profondément politisées. Elle chante et raconte dans plusieurs langues, du français à l’anglais passant par sa langue natale, l’abénaquis, des chants traditionnels et de nombreuses expériences autochtones. L’album est redécouvert en 2018 après que l’industrie l’ait rejeté au prisme des préjugés. Dans une entrevue réalisée en septembre 2018 par La Gazette, elle confie : « Ce que je chante n’est pas facile. Je ressens chaque mot. J’ai toujours peur de me mettre à pleurer ».  

Retracer l’Histoire 

L’éducation est un autre cheval de bataille pour Alanis Obomsawin. Dans plusieurs entrevues au cours de sa carrière, elle fait référence au système d’éducation et plus particulièrement au cursus enseigné dans les cours d’histoire. Une de ses missions, en tant que cinéaste, est de produire des documentaires de type historique, telle que la série cinématographique relatant les évènements de la Crise d’Oka de 1990, pour éduquer l’ensemble des jeunes sur la perception autochtone. Au cours de sa carrière, Mme Obomsawin reçoit de nombreux prix et distinctions, notamment Compagne de l’ordre du Canada et de l’Ordre des arts et des lettres du Québec, ainsi que grande officière de l’Ordre national du Québec et Commandeure de l’Ordre de Montréal.  

Née en 1932, Alanis Obomsawin passe les premières années de sa vie à Odanak, endroit qu’elle chérit d’ailleurs et qu’elle visite régulièrement, avant de partir à Trois-Rivières vers l’âge de sept ans. Dans les archives de Radio-Canada, on retrouve une entrevue qui date de 1964, où Mme Obomsawin est interviewée en tant que mannequin et chanteuse sous le nom d’Hélène Robert par le journaliste Jean Ducharme.  

De prime abord, on en apprend davantage sur l’enfance de madame Obomsawin. Le mari de sa mère était guide de chasse et de pêche durant la saison. Ils ont quitté la réserve dans un premier temps pour se rapprocher du travail de son père. De plus, « ils avaient plus de clients à Trois-Rivières pour vendre les remèdes qu’ils faisaient à l’aide d’herbage », raconte Obomsawin. On y apprend que son passage à l’école publique française a été difficile. Ne parlant qu’abénaquis, la jeune Alanis Obomsawin s’était fait intimider et traiter de « sauvagesse ». C’est peut-être à travers cette expérience que les premiers germes d’un activisme redoutable sont nés.  

Outre part, on y voie dans cette entrevue la jeune Obomsawin répondre avec tact et intelligence aux questions du journaliste, qui entretient un discours reflétant la pensée de l’époque empreinte de préjugés blancs à l’égard des autochtones, tout en maniant merveilleusement l’art de la parole. Ce qui est le plus remarquable et désolant à la fois, c’est que les réponses de madame Obomsawin sont encore d’actualité. Elle fait réfléchir son interlocuteur sur le sens du mot « intégration » qu’il emploie et sur ce qu’il veut dire. Elle instruit sur la symbolique des réserves et ce qu’elles valent pour les communautés autochtones. L’écouter parler, c’est s’ouvrir à l’autre et déconstruire nos préjugés.  

Une culture autochtone bien en vie 

La carrière d’Alanis Obomsawin a permis de faire rayonner la culture autochtone et de la garder en vie. Elle-même mentionne, dans l’entrevue de 1964, que « beaucoup de la culture autochtone a disparu aujourd’hui. Et qu’il faut travailler assez fort pour la trouver, mais chaque personne autochtone à des choses qu’il connaît. Vous savez, chez nous, on n’a pas écrit beaucoup de chose par nous. Mais il y a des choses qui nous ont été enseignées, lorsqu’on était enfant, de bouche en bouche et qui existent encore, comme les chants, des légendes, des histoires. Et l’histoire du Canada, nous aussi, on en a une, mais ce n’est pas la même que la vôtre.»  

Présente sur la scène artistique depuis longtemps, Alanis Obomsawin a marqué et continue de marquer plusieurs générations d’artistes autochtones. C’est le cas de Cocomonette qui, dans une entrevue pour la revue ELLES, parle de la grande fresque qu’elle a montée pour le MAC à l’occasion de l’exposition Les enfants doivent entendre une autre histoire. L’artiste multidisciplinaire anishinaabe parle de l’impact d’Alanis Obomsawin. En entrevue, elle mention que « sans les artistes comme Alanis Obomsawin, je ne pourrais pas faire le travail que je fais aujourd’hui qui est dans une immersion pure et qui n’est pas nécessairement dans l’éducation. Je suis capable d’être créative pis de m’exprimer en tant qu’artiste anashinaabe ». 

Une femme d’exception donc qui n’a pas fini de se rebeller et de nous instruire à travers son art. Elle est une grande richesse pour le Canada.  


Source: John Kenny

Elizabeth Gagné
Cheffe de pupitre CULTURE  culture.lecollectif@usherbrooke.ca   More Posts

Étudiante à la maîtrise en histoire, Elizabeth a toujours été passionnée par les arts et la culture. Travaillant de pair avec ses collègues depuis 2022 à promouvoir le programme des Passeurs culturels à la faculté d’éducation, elle travaille également depuis un an au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke. Intriguée par tout ce qui nous rend profondément humains, elle souhaite élargir et approfondir le sens de la culture en proposant des articles parfois hors normes.  

Scroll to Top