Les COP sont-elles coloniales ? 

Par Louis-Philippe Renaud 

Seule marche officielle à laquelle la société civile avait eu droit à la COP28 à Dubaï. 

*Ce texte fait partie d’une série de dix articles consacrés au besoin de sortir d’une trajectoire non durable. 

Les récentes conférences de l’ONU sur le climat (COP29) et sur la biodiversité (COP16) ont encore une fois contribué à perpétuer un système fondé sur des illusions d’égalité, de liberté et de croissance infinie. La société civile et les pays du Sud global présents à ces négociations s’y activent de manière exemplaire, mais pour combien de temps encore? 

Martín Portocarrero Incio est responsable des dossiers environnement, jeunesse et sécurité à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). Il travaille en étroite collaboration avec des partenaires du Sud global pour construire un monde basé sur des principes de justice, d’inclusion, d’égalité et de respect des droits de la personne. 

Martín Portocarrero Incio, en tant qu’observateur de la société civile à la COP16. 

J’ai décidé de lui donner la parole parce que je le sais sensible aux drames humains et écologiques qui se jouent partout sur la planète, particulièrement au sud. Son analyse autour des enjeux d’inégalités vécues à la toute récente COP16 sur la biodiversité en Colombie est d’ailleurs percutante. 

La question de la pertinence des COP lui parait bien légitime. Cependant, il perçoit la participation de la société civile comme essentielle. Sans elle, les États et entités privées pétrolières et extractives auront toute la place pour orienter les décisions en fonction de leurs intérêts politiques ou financiers. 

Une logique de deux poids deux mesures 

La pression auprès des pays du Nord reste essentielle à ce type d’évènement. Martín souligne le remarquable leadership de la société civile des pays du Sud, tels que l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud. Organisées et rassembleuses, leurs revendications sont claires et surtout bienvenues parce que « c’est très difficile de jongler avec l’enthousiasme et l’engagement quand vient le temps de faire face aux négociations ». 

Martín a assisté aux négociations qui sont restées en suspens en lien avec la mobilisation des ressources financières pour stopper la destruction de la nature d’ici à 2030 à Cali. Son constat : les interventions de ceux et celles qui négociaient au nom des pays du Sud n’avaient pas le même poids que leurs vis-à-vis du Nord. Observation qu’il avait aussi faite aux COP climat en Égypte et à Dubaï, mais de manière moins flagrante. 

Tout le monde intervient pour donner son avis et soumet des modifications à partir d’un texte proposé par la présidence des négociations. Quand les pays du Nord prenaient la parole pour proposer des ajustements ou carrément demander de biffer ce qui ne leur convenait pas, les secrétaires modifiaient le texte à l’écran. Inversement pour les pays du Sud où rien ne se passait… 

Martín se souvient très bien d’une négociatrice de l’Argentine qui a interpellé à plusieurs reprises la présidence à cet effet sans aucune réaction. Le pouvoir des pays du Nord différait clairement de ceux du Sud. La déclaration qui fait suite à cette COP de l’Assemblée des réseaux pour la justice climatique d’Amérique latine et des Caraïbes est sans ambiguïté : « Les voix des peuples dans toute leur diversité ont à peine réussi à devenir des crochets ou de brèves propositions dans plusieurs des textes de négociation. » 

Ce rapport de force disproportionné s’est aussi retrouvé à la toute récente COP29 pour le climat en Azerbaïdjan. Le président s’est alors approprié le droit d’adopter l’accord financier décrié par les pays du Sud avant même de leur donner la parole en vue de son adoption… 

Des dettes illégitimes et insupportables 

Martín évoque les longues heures de négociation autour de deux phrases qui reconnaissaient l’importance pour les pays du Nord de faire leur juste part en lien avec leurs responsabilités historiques du déclin biologique. Pourtant, le sort tragique que subissent les pays du Sud est directement lié à l’exploitation de leurs richesses à leur détriment et au profit de modes de vie des pays riches déconnectés des limites planétaires. Pire encore, les moyens pour y faire face sont concentrés entre les mains des États du Nord qui voulaient voir disparaître ses quelques lignes engageantes au point de vue politique.  

Bien entendu, les effets des bouleversements climatiques et du déclin de la biodiversité se font déjà ressentir de ce côté-ci du globe. Toutefois, les impacts demeurent bien plus destructeurs et violents au sud. 

L’Afrique, responsable d’à peine 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, les subit pour leur part de plein fouet. Avec leurs modes de vie bousculés et un sentiment d’être abandonné à eux-mêmes, une jeunesse africaine prend la mer au péril de sa vie et au risque de se retrouver dans les rangs du djihadisme.  

L’enjeu de la dette historique accumulée par les pays du Sud global envers les pays du Nord et les grandes institutions bancaires devrait disparaître, selon Martin. Il est loin d’être le seul à le penser. D’ailleurs, elle implique une incapacité structurelle à faire face aux crises écologiques actuelles et à venir. 

Cette dette reste « coloniale, climatique et écologique envers le Sud global, on devrait parler aussi de réparations et pas seulement de financement ». Il ajoute : « les pays à faible revenu dépensent cinq fois plus d’argent pour rembourser leur dette extérieure que pour des projets de lutte contre le changement climatique »… 

Reproduire le pouvoir colonial au détriment du vivant 

Martín tient à mettre de l’avant les constats de l’Assemblée des réseaux pour la justice climatique d’Amérique latine et des Caraïbes. Ils résument bien la pensée de Martín. 

« La COP 16 montre que, malgré la grande participation de la société civile et la création du comité permanent à l’ONU pour les peuples autochtones et des communautés locales, les résultats des négociations sont très loin d’offrir des solutions pour estomper la perte de la biodiversité et de changer le cours de la crise climatique. Les décisions adoptées à la COP ne proposent aucun changement systémique à la crise environnementale. Au contraire, ils reproduisent les asymétries du pouvoir colonial qui empêchent un changement transformateur nécessaire pour faire face à l’effondrement climatique et écologique. » 


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