Par Marie-Jeanne Eid

Donald Trump était le prototype, l’incarnation même de ce que Martine Delvaux voulait mettre en lumière lorsqu’elle a écrit son essai Le boys club, devenu un incontournable de la littérature féministe québécoise. De passage à l’Université de Sherbrooke lundi dernier, la professeure uqamienne s’est entretenue avec une salle pleine pour parler de son parcours, sa militance et ses craintes face à la montée de l’extrême droite.
« Là j’ai vraiment peur, désolée. Je ne sais pas si vous avez peur, mais moi je suis paniquée ». Martine Delvaux n’a pas essayé de le cacher. La nouvelle présidence américaine et la banalisation qu’elle fait des « broligarchies » sont graves. Recul des droits des minorités sexuelles. Menaces à la liberté de presse et au droit à l’avortement. Haine politique et discours ouvertement masculinistes. Le flot effréné d’informations nous rend vite dépassés.
Martine Delvaux y voit l’apogée du boys club
Faisant référence aux clubs privés londoniens qui rassemblent encore aujourd’hui notaires, juges et autres personnes influentes, les boys club sont décrits par Delvaux comme ces lieux « d’entre soi » masculins au sein desquels le pouvoir s’exerce à l’écart des institutions démocratiques. À son comble, on y retrouve Mar-a-Lago, ce club qui accueillait déjà dignitaires d’État et magnats avant même que Trump soit investi. Un espace fondé sur un principe d’exclusion au sein duquel on organise le pouvoir et l’argent.
Et ces boys clubs de plus en plus visibles et influents sont hautement inquiétants, insiste Martine Delvaux. « On ne peut pas juste se dire non, c’est juste quelques bozos. […] Ce n’est pas juste le masculinisme, c’est une extrême droite qui est en train de monter. Et cette extrême droite va s’en prendre à tout le monde, peut-être à nous en premier. »
Maintenant, comment résister?
Pour Martine Delvaux, la militance est toujours venue de pair avec l’écriture. Qu’on lui impose une étiquette radicale, Delvaux n’en a rien à faire : elle prête le flanc, s’expose aux critiques, sachant que le backlash est inévitable.
« J’écris comme un geste qu’on lance. Quand j’ai écrit Les filles en série, c’est comme une brique, tu veux lancer la brique contre les institutions. »
Elle ne nie toutefois pas être épuisée. Devoir convaincre l’autre, une à un, parfois dans des espaces hostiles, et voir Donald Trump se faire élire, ça fatigue l’esprit et la flamme militante. Elle est néanmoins catégorique : il ne faut pas tomber dans le silence.
Si elle croit qu’un livre ne change pas le monde, Delvaux est convaincue que c’est l’ensemble du travail féministe, dans des sphères variées et à différentes portées, qui laisse un réel impact. Prendre la parole, publier, s’éduquer. Créer des passerelles entre générations de féministes. Ne pas abandonner la conscientisation de nos parents, ou celle de nos grands-parents.
Impossible de mener toutes les batailles non plus, au risque de se sentir coupable lorsqu’on ne les mène pas. Ménager notre énergie fait aussi partie du militantisme.
Et les hommes féministes là-dedans? Comment être un bon allié? Pour Martine Delvaux, c’est apprendre à se mettre entre parenthèses, ou plus frontalement, écouter et se taire. Avoir comme point de départ le doute plutôt que l’assurance. Au sein de dynamiques de classes universitaires encore très peu paritaires au niveau de la prise de parole, c’est une réponse qui devrait en faire réfléchir plus d’un.
Crédit : Gabriel D’Astous