Mer. Juil 24th, 2024

Par Janie Dussault

Au cours des deux derniers siècles, plusieurs tribunes ont été utilisées par les Afro-Américains afin de revendiquer leurs droits et dénoncer des injustices envers la société américaine et les autorités politiques. Les derniers mois nous ont démontré qu’il n’y a pas que les arts et le milieu politique qui sont choisis pour se faire entendre ou bien pour prendre position dans le débat racial américain. La saison de la NFL, qui s’est conclue le week-end dernier avec le fameux Super Bowl, a été le théâtre d’affrontement sur les questions raciales qui hantent la nation américaine. Ce n’est pas la première fois que des revendications faites par les Afro-Américains passent par le sport national des États-Unis. Il suffit de penser à la performance de Beyoncé en 2016, alors que celle-ci portait l’uniforme du Black Panther Party lors de sa prestation au célèbre numéro de la mi-temps.

Une liberté de courte durée

Alors qu’aujourd’hui les revendications faites par les Noirs américains ont fait couler beaucoup d’encre, il est impératif de se rappeler que cette question en a fait autant au pays des libertés. À elle seule, la guerre de Sécession fit plus 600 000 morts, sans compter les blessés, ce qui fait de ce conflit le plus sanglant qu’a connu les États-Unis depuis sa création. Le dénouement de cette guerre a, comme on le sait, affranchi les esclaves des États du sud : 3,9 millions de Noirs, soit 90 % de la population noire totale du pays qui pouvait dorénavant goûter, eux aussi, à la liberté. Moins d’une semaine après ce gain de liberté, l’assassinat d’Abraham Lincoln ouvrit la porte à la présidence d’Andrew Johnson, fervent partisan de la suprématie blanche originaire du Tennessee, l’ancien État-esclavagiste. La nouvelle liberté que pouvait dorénavant toucher la communauté afro-américaine fût de courte durée. La mise sur pied des Black Codes, une législation raciale, tant au sud qu’au nord du pays limitait considérablement ce peuple « libre ». Les Jim Crow Laws, qui sont à l’origine de l’important clivage entre les Noirs et les Blancs dans les lieux publics et politiques, ont également fait leur apparition au fil du temps.

Des décennies de revendications

Les Martin Luther King, Rosa Parks, Malcom X et Nina Simone des années 1950 et 1960 jusqu’à aujourd’hui avec des auteurs tels que Ta-Nehisi Coates et Colson Whitehead ont pris, et prennent encore : les mots, la musique, les images et la parole pour défendre leurs droits et s’assurer de ramener dans l’actualité le lourd passé de l’esclavage que porte la communauté afro-américaine. La voie politique fut aussi sollicitée dans le même but de faire bouger les choses. Depuis 25 ans, un certain John Conyers, élu à la Chambre des représentants depuis 1965, demande, chaque session parlementaire, une « commission d’étude des propositions de réparations pour les Afro-Américains ». Sa demande est cependant exposée à un refus constant du Congrès.

Dans un ouvrage nommé Black reconstruction America paru en 1935, le sociologue américain W.E.B. Du Bois décrit ladite libération des esclaves comme suit : « L’esclave a été libéré; il s’est tenu un bref moment au soleil, puis a avancé de nouveau vers l’esclavage. » Cette phrase est lourde de sens lorsque l’on prend la pièce Mississippi Goddam de Nina Simone, un exemple parmi des milliers, qui témoigne la profonde rage et hargne ressentie par l’artiste et sa communauté. Il faut dire que l’histoire des Noirs fuyant le Mississippi au XXe siècle est très similaire à celle de leurs ancêtres esclaves, et ce, malgré l’abolition de l’esclavage du siècle précédent. Beaucoup de cultivateurs noirs du Mississippi étaient sous l’emprise de leur employeur occupant aussi le rôle de fournisseur et de propriétaire des terres à coton. Entre les cultivateurs et leur employeur, un cercle vicieux de dettes s’installa, occasionnant ainsi un rapport de force des Blancs sur les Noirs. Même qu’en cas de contestation, des Noirs étaient battus ou même tués.

150 ans après la Guerre de Sécession

Bien que le président Lyndon B. Johnson mit en place en 1964 le Civil Rights Act, qui mettait fin à la ségrégation raciale, la condition des Afro-Américains chez nos voisins du sud demeure laborieuse. La nécessité du mouvement Black Lives Matter nous démontre que la communauté afro-américaine vit encore d’importantes répressions, et ce, dans plusieurs sphères de la société. Le Pew Research Center rapporte que 70 % des Noirs américains affirment avoir été traités moins équitablement que les Blancs dans leurs rapports avec les forces policières.  L’inégalité au niveau des revenus est aussi frappante alors qu’en 2014, le revenu médian d’un ménage blanc se situe à 71 300 $ et que celui d’un ménage noir à 43 300 $. Également, la population noire carcérale est la plus importante du pays. Alors que 38 % de Blancs américains jugent que leur pays a fait suffisamment d’efforts pour redonner aux Noirs les mêmes droits que les Blancs, ce pourcentage chute à 8 % lorsque cette interrogation est dirigée vers la communauté afro-américaine.

Que penser de cette Amérique blanche qui fut un terreau de ségrégation raciale, dont les ravages de celle-ci persistent, et ce, dans l’une des plus importantes démocraties que le monde ait connues? Alors que le premier président des États-Unis, George Washington, fut lui-même propriétaire d’esclaves, le président actuel, lui, fait la sourde d’oreille face à un peu plus de quarante millions de personnes; face à une population qui réclame, ces derniers mois, par le biais du sport national américain : réparation et considération. La question raciale demeure un sujet extrêmement explosif que bien peu de politiciens osent effleurer.

Certes, la situation des Afro-Américains a connu d’importantes améliorations au cours des décennies précédentes, mais comme le mentionnait Barack Obama, le précédent président américain : « Better is still not enough. »

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