Par Hélène Bughin
Si les aléas de 2020 nous ont dévoilé plusieurs lacunes sociales, le milieu culturel aura été profondément bouleversé par la halte totale de ses activités. Devant l’incertitude qui pèse sur le statut d’artiste, des associations se sont empressées, en 2021, de faire pression pour changer les choses. Regard sur l’origine de la réforme du statut de l’artiste au Québec, et ce qui a mené à son échec.
Les travailleurs et travailleuses de moult disciplines, sur la scène comme dans l’ombre, se sont retrouvés sans revenu, sans contrat ni sécurité, en mars 2020. Le télétravail n’étant malheureusement pas possible pour un chef technique, plusieurs ont dû, à contrecœur, changer de discipline. L’appui du fédéral a été considérable, mais force est d’admettre que le Québec fait la fine bouche quand vient le temps de soutenir ses artisans. Aucun plan à long terme n’a été élaboré alors, laissant les personnes touchées dans l’incertitude.
Des associations et des promesses
C’est plus de 26 000 personnes qui sont représentées par les neuf associations ayant approché le gouvernement pour faire modifier la loi actuelle entourant le travail culturel. Elles clament que les artistes n’ont pas les mêmes droits fondamentaux que le reste de la population sur le marché du travail. Rappelons que l’adoption des deux lois sur le statut de l’artiste date de 1987 et que de nombreuses révolutions technologiques et sociales ont depuis changé la donne. De ce fait, les artistes demeurent, aux yeux de la loi, une classe à part. Lors de l’exercice de leurs fonctions, la plupart peuvent se voir imposer des conditions déplorables.
Sans statut clair, l’artiste se retrouve à ne pas connaître ses recours ni ses droits. Difficile de négocier un contrat quand on ne connaît pas les normes. Avec le contexte de la dernière année, c’est aussi le travail en tant que tel qui se pose comme enjeu. Une réforme permettrait de colmater des brèches, d’amener à niveau les besoins du milieu culturel et d’offrir de bonnes conditions de travail à celles et ceux qui font de la culture le joyau qu’elle est aujourd’hui, de leur permettre de négocier des ententes collectives encore inexistantes. Bref, une réforme du statut de l’artiste consoliderait la validité de la profession et la reconnaissance des besoins associés.
Le refus du gouvernement
Au cours de son premier mandat, le gouvernement de François Legault devait procéder à la réforme, selon ses promesses électorales. Intention réitérée au printemps, qui aurait été le moment idéal pour introduire de nouvelles conceptions et ainsi aider un groupe important de citoyens et citoyennes. Parmi les demandes des associations, relativement au statut de l’artiste, on retrouve aussi le désir d’un soutien financier, appuyant celles et ceux qui continuent de faire face à des défis économiques. Une augmentation des budgets des programmes était aussi souhaitée, toujours dans l’optique de soutenir un groupe durement touché par les restrictions, tout comme une enveloppe budgétaire dédiée à la lutte à la désinformation.
Malheureusement, la CAQ a rejeté, le 28 septembre dernier, une motion visant à revoir ce statut. Ce faisant, la ministre Nathalie Roy a refusé la modernisation du milieu culturel. Une inaction décriée chez les partis de l’opposition, comme Québec Solidaire. Bien qu’il s’agisse d’un engagement pendant la campagne électorale, le présent gouvernement dit ne pas être dans les temps pour déposer une révision de l’encadrement législatif. Une gifle au visage pour celles et ceux qui rament depuis une vingtaine de mois, entre se réinventer ou tout simplement quitter le navire.
Des impacts concrets sur le milieu
C’est des écrivaines et écrivains, des scénaristes, des techniciennes et techniciens et éclairagistes, performeurs et performeuses, et des journalistes indépendants et indépendantes qui sont ciblés par ce manque de réforme. Toutefois, ce n’est pas qu’au niveau de la loi que les individus sont rendus invisibles par le manque d’action. L’absence de soutien a aussi un impact dans la manière dont le public perçoit le milieu artistique, tout comme le milieu artistique se conçoit lui-même.
La députée Catherine Dorion, dans un billet au journal Le Soleil, en fait clairement état. La politicienne et autrice, ayant pour point de départ ses années au Conversatoire, recense les différentes manières dont les artistes invalident leurs besoins et aspirations. Parmi ces conceptions, l’idée de se pousser dans les projets de manière inégale, jusqu’au surmenage, l’élan d’accepter n’importe quel contrat et le réflexe d’accepter des tarifs en deçà de ce qui permet de vivre, par amour du métier ou nécessité. En ce moment, l’UNEQ, l’association représentant les auteurs et autrices, ne peut protéger ses membres au même titre que d’autres organismes, en raison des lacunes dans le champ d’application de la loi.
Une réforme du statut de l’artiste est plus que nécessaire : elle est vitale, impérative, pour retenir les artistes dans leurs professions respectives. Ce n’est pas un caprice ou une lubie. Des vies sont en jeu, dans le présent. L’art est et reste une manière honorable de gagner sa vie, et le refus du gouvernement de reconnaître une décence au milieu de travail est insultant. Il existe un danger concret au fait de laisser les conditions de travail se dégrader : la perte de respect d’une société envers sa production culturelle. Parce qu’outre les désirs de productivité du premier ministre, une société sans culture en est une sans âme, sans histoire et possiblement, sans avenir.
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