À mi-chemin entre la vie étudiante et la « vraie vie », vraiment ?

Par Elena Naggiar

Chers professeurs,

J’essaye de comprendre le mur qui sépare le monde universitaire du « vrai » monde. En fait, j’ai beaucoup de difficulté à accepter cette scission qui m’est très abstraite et qui me semble de plus en plus obsolète. Comme si les universitaires vivaient dans une dimension complètement à part du monde professionnel. Comme si les étudiants des universités n’étaient pas prêts pour cette vie si injuste et si difficile qui s’acharne sur la population en dehors des murs ô combien rassurants de leur institution scolaire.

Permettez-moi de remettre en question cette devise que vous vous entêtez tous à nous répéter : « Dans la vraie vie, vous allez voir que c’est une autre game, c’est complètement différent de ce que vous vivez présentement. » Certes, je n’aurais plus cinq articles scientifiques à lire par semaine, je ne passerais probablement plus 20 h par semaine à la bibliothèque en rencontre d’équipe et je n’aurais certainement plus d’examens finaux qui axent sur le par cœur et le bourrage de cerveau plutôt que sur la compréhension de concepts et d’enjeux de l’industrie — mais ça, c’est un autre dossier que je n’aborderai pas aujourd’hui.

Mais la game dont vous parlez, est-elle si différente de la réalité des universitaires? Surtout pour des étudiants de l’Université de Sherbrooke, où la course aux stages est disponible dans 44 programmes universitaires? Pour des étudiants qui ont déjà eu deux, trois, voire cinq stages dans des entreprises qui œuvrent dans « la vraie vie » ? Pour des étudiants qui, en plus des études et des obligations scolaires, s’impliquent au sein de leur communauté, au sein des associations étudiantes, au sein de la vie sur le campus, qui s’inscrivent à des cours d’activité physique pour intégrer le sport dans leur quotidien, qui dédient entre 15 et 20 h par semaine à leur emploi à temps partiel pour payer leurs dettes et se permettre une folie comme un sac d’avocats de temps en temps?

Dans une étude menée par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) en 2013, on peut voir l’évolution de la conciliation travail-études. En 1981 (à peu près l’époque où vous étiez universitaires), seulement 28 000 étudiants québécois conciliaient travail-études alors qu’en 2013, le chiffre montait à plus de 112 000 (on parle ici seulement des 20-24; lorsqu’on inclut les 15-19, les données grimpent). On constate aussi que 54 % des étudiants à temps plein âgés de 20 à 24 ans occupent un emploi pendant leurs études. Ce qui représentait en 2013 près de 7 % de l’ensemble de la main-d’œuvre au Québec.

Alors je me questionne sur cette « vraie vie » dont vous faites mention. Si vous faites référence aux responsabilités financières qu’un emploi entraîne, à la planification de l’avenir et aux bons dossiers de crédit, il me semble que celles-ci ne soient pas très disparates entre un universitaire et un jeune professionnel. D’ailleurs, un sondage réalisé par la firme Léger révèle que l’épargne est une des priorités des étudiants québécois.

Nous ne sommes pas dupes, la compétition et la performance, on y goûte tous les jours à l’université. La vie n’est pas plus rose ici qu’à l’extérieur du campus et on le sait. D’ailleurs, si on est ici, c’est aussi pour tenter d’enrayer l’inégalité dans le monde et rendre demain meilleur et plus doux pour les autres.

J’ai juste l’impression que vous l’oubliez parfois.


Crédit photo © azygma.be

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