Le présent article est le troisième d’une série de quatre portant sur le projet de loi « Mourir dans la dignité », plus largement sur l’euthanasie. Le but de cette série est d’aborder quelques aspects négligés dans les débats entendus sur la place publique et de donner au lecteur quelques outils et sujets de réflexion l’amenant à se forger sa propre opinion. Aujourd’hui, il sera question de la mort chez le nouveau-né.
Par François Dubois
Le temps de Noël, qu’il soit célébré dans un esprit religieux ou non, est un temps d’espoir, un temps de rêve. Le sentiment qu’il procure n’est pas incomparable à celui de la venue au monde d’un enfant. Le nouveau-né impressionne, ne serait-ce que par sa parfaite innocence, son caractère encore exempt de toute mauvaise intention.
Malheureusement, cet événement attendu pendant de longs mois peut tourner au drame en quelques instants : accouchement prématuré, paralysie cérébrale, malformations… Heureusement, les technologies médicales contemporaines permettent de prévenir bien de ces complications par dépistage en échographie ou par chirurgie in utero et d’en traiter un grand nombre. Alors qu’il y a cinquante ans, un enfant né à 30 semaines de gestation était presque vu comme un condamné à mort, l’unité de soins intensifs de néonatalogie du Centre Hospitalier Universitaire de Sherbrooke (CHUS) les accueille à seulement 23 semaines, et en sauve à cet âge près de la moitié.
Le corollaire en est malheureusement que la moitié de ceux-ci meurent. Certains succomberont à des infections, d’autres à des perforations du système digestif, mais pour quelques-uns, on prend tout simplement la décision de cesser les soins vitaux. En effet, plusieurs de ces enfants prématurés sont dans un état qui pourrait très bien leur permettre de survivre avec l’aide de respirateurs ou d’antibiotiques, mais avec de sérieux handicaps, comme des saignements importants dans le cerveau. « Cette prise de décision est toujours très difficile. Il faut savoir respecter les limites des parents, mais en même temps, il ne faut pas laisser la situation s’éterniser. Il ne faut pas faire vivre des souffrances inutiles à l’enfant », nous dit Dre Édith Masse, médecin néonatalogiste au CHUS.
Ce qui est particulièrement difficile, c’est que les enfants avec de sévères déficits neurologiques ont l’air d’enfants complètement normaux. Ils boivent le biberon, ils tiennent le doigt, ils bougent… C’est qu’à cet âge, les mouvements ne sont pas gérés par la conscience, mais plutôt par des réflexes, que ce soit au niveau de la moelle épinière (faisceau de neurones dans la colonne vertébrale) ou d’autres endroits dans le système nerveux. Ainsi, les capacités motrices de l’enfant ne représentent pas correctement les capacités cognitives de celui-ci, car il s’agit de mouvements « involontaires ».
On tente alors d’évaluer quel sera le handicap futur de l’enfant au moyen d’examens d’imagerie par exemple. Parfois, le pronostic est bien clair, mais on se retrouve bien souvent dans une zone grise : « Lorsque je vais entrer au Ciel, il y aura probablement quelques anciens patients qui voudront me dire qu’ils n’auraient pas été si pires que ça ! », confie Dre Masse, avec un rire jaune. « C’est pourquoi cette décision n’est jamais prise seulement par le personnel médical, mais bien après discussion de fond en comble avec la famille. Au final, ils doivent se demander ce qui est le mieux pour l’enfant. » Le consentement substitué, cela vous revient? (voir articles précédents) Il doit être fait en fonction des volontés antérieures (non applicable dans ce cas) et de l’intérêt fondamental du patient. La question qui en découle est donc la suivante : sa vie vaut-elle la peine d’être vécue ?
« J’ai connu une femme enceinte atteinte de fibrose kystique (maladie génétique des poumons et de l’appareil digestif principalement) qui, après avoir découvert que son fœtus était également atteint de la maladie, a tout de suite demandé l’avortement. Pour elle, son enfance remplie d’infections et d’hospitalisations n’en avait pas valu la peine. » D’autres personnes vous diront que leur vie mérite d’être vécue, mais encore, est-ce parce qu’elles ne peuvent s’avouer cette vérité déchirante? On comprend donc que l’évaluation de l’intérêt de l’enfant sera très influencée par les expériences personnelles, et est donc très subjective.
« Lorsque la décision de cesser les soins est prise, on tente de faire la chose de la manière la plus personnelle qui soit. Certains veulent arrêter les machines eux-mêmes, d’autres tiennent à faire baptiser leur enfant. On tente de rendre la chose la plus humaine possible. Le plus important, c’est d’y aller cas par cas. Chacun voudra y aller à son propre rythme. »
On tente donc d’offrir une mort dans la dignité. Mais est-ce réellement le but ultime? Après tout, la mort n’est-elle pas qu’un bref instant dans nos vies, même pour les plus jeunes à partir?
La fin recherchée n’est-elle pas plutôt d’« éviter » les souffrances inutiles, de « vivre » dans la dignité?