Une prise de position remarquée sur la réforme Dubé 

Le mardi 24 octobre, un rare événement s’est produit : six ex-premiers ministres du Québec se sont associés, en dépit de leur partisanerie, pour dénoncer la réforme en santé du ministre Dubé. C’est ainsi que Pierre Marc Johnson, Daniel Johnson, Lucien Bouchard, Jean Charest, Pauline Marois et Philippe Couillard ont cosigné une lettre ouverte, dédiée au premier ministre Legault.  

Ensemble, ils ont mis l’emphase sur leur conviction « qu’aucun enjeu n’est plus important pour les Québécoises et les Québécois que l’accès à des services de santé et des services sociaux de qualité ». Les six ex-chefs d’État ont soulevé plusieurs préoccupations relativement à la réforme annoncée par le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ). 

Une réforme sectorielle majeure 

La réforme 2023 du système de santé a été proposée par le ministre de la Santé, Christian Dubé, en mars dernier. Aussi connue sous l’appellation « projet de loi 15 », cette réforme est toujours à l’étude par le gouvernement. Ce vaste chantier comporte 1 180 articles, contenus dans 305 pages. Si adoptée, la réforme viendra modifier 35 lois antérieures relativement au secteur de la Santé. Ce sont 114 mémoires qui ont été déposés par une multitude d’organisations civiles lors des consultations. 

Parmi les éléments majeurs inclus dans le projet de loi, on retrouve la création d’une nouvelle société d’État, « Santé Québec », qui coordonnerait les opérations du ministère de la Santé. Ce dernier pourrait ainsi se concentrer sur l’élaboration des grandes orientations et stratégies, fidèlement à ce qui avait été recommandé dans le rapport Clair de 2001. « En séparant les opérations des orientations, Québec veut que le Ministère retrouve son rôle premier de planification pour mieux répondre aux besoins populationnels, » rapporte La Presse

Un autre élément important de la réforme réside dans la centralisation des opérations, alors que Santé Québec deviendrait le seul employeur du réseau public de la santé, afin de « diminuer la bureaucratie ». Cette modification apporterait des avantages et des inconvénients, notamment sur le plan syndical et la fluidité entre les régions. Le projet de loi 15 mise également de façon majeure sur l’imputabilité des parties patronales et des têtes dirigeantes. Des gestionnaires « de proximité » seraient rattachés à chaque institution, tant dans les CLSC que dans les hôpitaux.  

Le rôle des médecins est aussi impacté par le projet, tandis que le rôle des personnes employées est très peu abordé. « Le ministre de la Santé nous propose un projet de loi qui passe complètement à côté de la priorité numéro un en santé : le personnel, qu’il ne fait absolument rien pour attirer, pour garder. Il nous propose une réforme de structure », déplore André Fortin, critique du Parti libéral du Québec en matière de santé. Les autres partis d’opposition sont somme toute assez critiques du projet, craignant une perte d’imputabilité du ministre, qui transfèrerait la responsabilité de reddition de comptes à Santé Québec. 

Une critique commune 

C’est dans ce contexte de centralisation des pouvoirs et de fusions multiples entre les diverses instances de santé que les six ex-premiers ministres du Québec se sont ralliés pour soulever des enjeux sous-jacents au projet de loi. « Nous sommes d’avis que la fusion des centres hospitaliers et des instituts universitaires à une société d’État nouvellement créée aura un impact négatif important sur ces institutions qui jouent un rôle essentiel dans la société québécoise », mentionne la lettre ouverte.  

Plus précisément, les anciens chefs d’État ont mentionné être préoccupés par la dissolution des conseils d’administration (CA) régionaux et spécifiques. Selon eux, cette abrogation ferait perdre une considération des spécificités locales, ce qui mènerait éventuellement à un recul de leurs performances, affectant ainsi la société québécoise. L’abolition des CA entrainerait aussi d’autres conséquences, notamment sur le plan du « financement des fondations et sur la recherche universitaire ». 

Prenons pour exemple le cas de l’Estrie. Actuellement, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CIUSSS Estrie – CHUS) est affilié à l’Université de Sherbrooke, et possède parallèlement sa propre fondation. « Les centres hospitaliers et instituts universitaires réunissent dans une même organisation les soins, la recherche, l’enseignement, l’évaluation des technologies et la prévention. Ces activités sont indissociables et parfaitement intégrées, » supportent les premiers ministres. 

Conformément à la réforme Dubé, le CIUSSS Estrie – CHUS perdrait de son autonomie, ce qui affecterait en soi son attractivité pour les dons philanthropiques. « Le citoyen qui contribue ne cherche pas à financer un système, mais bien un objet, une institution, une recherche, un service qui le touchent d’une façon ou d’une autre », poursuivent-ils. « Cette fusion complète ou partielle nous paraît s’éloigner dangereusement de l’objectif visé par la réforme envisagée, qui est de rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace », concluent-ils. 

La face cachée de l’opposition 

La lettre ouverte des premiers ministres faisait allusion à l’institut de cardiologie de Montréal pour illustrer ses arguments. Quelques jours après la lettre, des voix se sont élevées afin de dénoncer l’influence potentielle d’un grand lobby derrière la sortie médiatique des six politiciens. En effet, l’Institut de cardiologie de Montréal a des liens financiers étroits avec la famille Desmarais, propriétaire de Power Corporation. 

Selon les informations rapportées par le Journal de Québec, « la lettre ouverte publiée mercredi a été une initiative du président du conseil d’administration de l’Institut, Éric Bédard ». La famille Desmarais finance de façon récurrente l’Institut de cardiologie, et y possède des intérêts financiers importants dans le secteur de la recherche et du développement. « Les liens sont d’ailleurs si étroits que le centre de recherche de l’Institut a été rebaptisé Centre de recherche Famille Desmarais », toujours selon le quotidien.   

Consciente de l’influence de la famille Desmarais sur la rédaction et la publication de la lettre ouverte, l’ex-première ministre Pauline Marois souligne le fait que « la démarche s’est faite dans les règles de l’art ». Loin de nier l’influence de Power Corporation derrière l’initiative, celle-ci a plutôt défendu la légalité de l’acte. « C’est une question que j’ai posée, à savoir : “est-ce que tout est correct et conforme à la Loi sur le lobbying?” Et moi, on m’a répondu oui », assure-t-elle. 


Crédits: Cr Philippe Olivier Contant

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