Par Coralie Gince
Le ministre des Services sociaux du Québec, Lionel Carmant, a pris la décision de mettre la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de la Mauricie–Centre-du-Québec sous tutelle, marquant un tournant dans la gestion de cet organisme. Cette mesure exceptionnelle, annoncée le 9 octobre dernier, fait suite à des révélations accablantes concernant des lacunes graves dans les processus d’adoption de 140 enfants, dont les droits ont été compromis par des omissions et des manipulations de données.
La Presse a révélé l’accès à un rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) dénonçant des pratiques inacceptables dans les procédures d’adoption. Selon ce rapport, plusieurs dossiers d’adoption contiennent des informations ayant délibérément été « omises, manipulées et/ou inventées afin de prendre les parents en défaut ». Ces manipulations incluent l’utilisation d’antécédents médicaux datés, des allégations sans fondement de manque de collaboration des parents, et même des décisions prises sans vérification auprès des professionnels de la santé et des personnes concernées.
Le ministre Carmant, bien qu’informé de la situation depuis plusieurs mois, a attendu le reportage de La Presse avant d’agir dans la situation. À ce jour, 140 dossiers font l’objet d’une révision par les intervenants de la DPJ, une situation dénoncée par l’ex-sergente-détective Janique Véronneau, qui y voit un manque d’objectivité.
Impacts sur les enfants ainsi que les familles biologiques et adoptives
Les conséquences de ces dysfonctionnements ne se limitent pas aux familles biologiques.
« On parle évidemment des dommages sur les familles biologiques et les enfants et il y a aussi les dommages sur les familles qui ont accueilli ces enfants en toute bonne foi en pensant que les critères avaient été respectés », mentionne Jade Bourdages, professeure à l’École de travail social de l’UQAM.
Nancy Audet, marraine pour la Fondation des jeunes de la DPJ, insiste, quant à elle, sur la douleur ressentie par certains enfants qui croiront, à tort, avoir été abandonnés par leurs parents biologiques.
Valérie Assouline, avocate spécialisée en droit de la jeunesse, souligne qu’en raison des erreurs passées, plusieurs enfants ne retrouveront jamais leur famille d’origine, même en cas de poursuites civiles ou criminelles.
Quant aux jeunes qui pourront réintégrer leur famille d’origine, ils vivront le deuil de leur famille adoptive.
Problèmes structurels au sein de la DPJ
Les difficultés de la DPJ, telles que le roulement de personnel, les compressions budgétaires et le manque de formation des intervenants, ont été pointées du doigt par plusieurs députés, notamment Pascal Tardif (Parti Québécois) et Monsef Derraji (Parti libéral du Québec). Ruba Ghazal, députée de Québec solidaire, a quant à elle rappelé que la réputation de la DPJ est sérieusement mise en péril.
Mme Bourdages voit d’un bon œil les inquiétudes gouvernementales concernant la structure de la DPJ, mentionnant que les « problèmes de structures [lui] semblent toujours latents » malgré « les nombreuses enquêtes sur les pratiques de la DPJ ».
Les critiques se sont d’ailleurs intensifiées à la suite de nouvelles accusations d’inconduite sexuelles contre neuf éducatrices du centre de réadaptation de Cité-des-Prairies.
Le 28 octobre dernier, la directrice nationale de la DPJ, Catherine Lemay, a remis sa démission à la demande du ministre Carmant.
Vers une réforme de la DPJ?
La mise sous tutelle de la DPJ de la Mauricie et du Centre-du-Québec souligne la volonté du gouvernement de répondre fermement aux graves violations des droits fondamentaux des enfants et des familles. Cependant, des réformes structurelles profondes restent nécessaires pour que la DPJ puisse pleinement remplir sa mission de protection des enfants et assurer des pratiques conformes aux normes éthiques et légales les plus élevées.
Crédits: Jacques Boissinot La Presse Canadienne