Par Camille Leblanc
La professeure de l’école de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke Karine Prémont a lancé le 20 novembre dernier un nouvel ouvrage intitulé « Les grandes affaires politiques américaines ». C’est au cœur d’une conférence pour l’Université Populaire de Sherbrooke (UPOPS) au Boquébière sur la thématique de la destitution qu’a eu lieu cette soirée. À peine une semaine après son passage à l’émission Tout le monde en parle, elle aide les citoyens à décortiquer la procédure actuellement en cours aux États-Unis.
La destitution
Pouvant être difficile à comprendre lorsqu’on ne baigne pas dans le monde de la politique et de l’actualité en continu, la destitution ou l’impeachment est une procédure tirée de l’article 2 de la Constitution américaine qui vise à priver de sa charge un haut fonctionnaire du gouvernement. Dans ce cas-ci, on tente de révoquer au président son droit de gouverner suite à des actions graves d’abus de pouvoir. C’est ce qu’a vulgarisé lors de sa conférence madame Prémont, qui est aussi directrice adjointe de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand.
C’est la quatrième fois que les États-Unis vivent une telle situation dans l’histoire. Andrew Johnson fut le premier président soumis à la procédure en 1868, lui qui a été acquitté d’une seule voix au Sénat américain. Ce fut ensuite Richard Nixon qui fut mis en accusation en 1974 avant de démissionner suite au scandale du Watergate. Sans oublier Bill Clinton et l’Affaire Monica Lewinsky, qui l’aura mené en 1998 à faire face à la procédure, lui qui s’en sera toutefois sorti sans condamnation. Aucun président n’a ainsi dans l’histoire été formellement et officiellement destitué.
Il y a quatre étapes menant à la destitution officielle. En premier, il doit d’abord y avoir un élément qui lance la mise en accusation. Il y a ensuite des audiences en huis clos ainsi qu’en public afin d’aider à déterminer la gravité des accusations. C’est l’étape qui a lieu actuellement, où il est possible d’entendre les témoignages de divers acteurs entourant le scandale, et elle est d’une importance capitale pour l’opinion publique. Puis, c’est après les audiences que la Chambre des représentants passe au vote concernant les articles qui seront utilisés contre l’accusé. Contre Clinton, par exemple, c’était la parjure ainsi que l’obstruction à la justice. Si le vote passe, le président est donc techniquement destitué. Toutefois, le Sénat doit l’approuver en passant également au vote par la suite. Si tel est le cas, le président est donc officiellement destitué et remplacé par son vice-président.
Le cas de Trump
Ce dont il est question aujourd’hui, c’est d’une mise en accusation du président Donald Trump par la Chambre des représentants. Depuis le début de son mandat se discute un possible déclenchement de la procédure face aux diverses controverses à son sujet. En septembre dernier, un lanceur d’alerte du service des renseignements américains a révélé avoir connaissance de conversations téléphoniques entre les présidents américain et ukrainien. Dans la transcription, il est possible de comprendre que Trump aurait demandé à son homologue d’enquêter sur un adversaire politique démocrate, Joe Biden, au sujet de possible corruption. Pour une mise en contexte, l’administration Trump avait précédemment interrompu une aide financière et militaire prévue pour l’Ukraine. Suite à cet appel, l’aide aurait été débloquée sans explications en septembre 2019. En d’autres mots, le président américain aurait marchandé l’aide militaire comme levier d’échange dans le but de favoriser ses intérêts politiques personnels.
Le président, pour sa part, mène en quelque sorte une guerre ouverte au congrès en qualifiant l’affaire de « chasse aux sorcières ». Il dément évidemment les accusations menées contre lui en se défendant de n’avoir eu l’intention que de vouloir protéger la nation américaine de la corruption de ses élus à l’étranger.
À quoi s’attendre
Plusieurs facteurs entrent en jeu lorsqu’on tente de prévoir la suite mais il est encore tôt pour faire des prédictions. Un élément important revient au concept de partisanerie. Il faut comprendre que c’est un processus qui relève de la politique et non du juridique, tel que nous l’a rappelé à maintes reprises la conférencière. En effet, malgré les abus du président, les élus républicains auront sans doute tendance à trancher en faveur de Trump. Il serait illogique électoralement de voter pour destituer un élu de son propre parti.
En sachant que la chambre des représentants est à majorité démocrate, on peut prévoir que ceux-ci voteront en faveur d’une destitution. Néanmoins, le sénat comptant plus de républicains que de démocrates, il est possible de s’imaginer que le président soit acquitté à l’issue du vote. C’est le scénario le plus probable, selon Karine Prémont. Pour que le président soit destitué, il faudrait que tous les démocrates votent en bloc, et qu’au moins vingt républicains soient aussi en faveur, ce qui a peu de chances d’arriver.
Toutefois nous rappelle-t-elle, devant la loi, il est aussi logique de rester objectif. Des décisions comme celles-ci créent inévitablement des précédents qui pourraient ensuite être en leur défaveur à l’avenir. Les accusations concerneraient pour l’instant un abus de pouvoir, de la corruption ainsi qu’une obstruction à la justice. Ce qui pourrait faire pencher la balance, selon elle, serait un élément qui soit complètement indéfendable devant la loi. Les républicains feront face à un choix difficile au sénat, car ils devront prédire s’il est plus avantageux de continuer leur route avec ou sans le président. En mars prochain, la question ne sera pas nécessairement de savoir s’il a abusé de son pouvoir, mais plutôt, si ça dérange les Américains que tel soit le cas. Jusqu’à quel point les républicains seront-ils prêts à défendre les comportements de Donald Trump pour rester au pouvoir? Ce que certains craignent, c’est d’une remontée en popularité et en légitimité de celui-ci s’il est acquitté.
À l’heure actuelle, 47,7 % des Américains sont en faveur de sa destitution. De ce pourcentage, 81 % sont d’allégeance démocrate, tandis que seulement 10,7 % sont républicains. Inévitablement, il faudra que l’opinion publique tourne davantage chez les républicains pour que cela influence les élus de façon significative. Alors que sur la scène mondiale on semble être d’un commun accord avec la destitution du président, les États-Unis ont un point de vue qui semble différer. Ce qui est intéressant, disait madame Prémont, c’est qu’à quelques mois des élections présidentielles et en plein cœur d’une procédure de destitution, on ne sait vraiment pas à quoi s’attendre en politique américaine dans la prochaine année.
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