L’insécurité linguistique au Québec

lapoutine.fr_petitComme l’a si bien écrit Marty Laforest : « Plus qu’à taper sur une rondelle avec un bâton, le véritable sport national des Québécois consiste à parler de la langue ». Particulièrement depuis la Révolution tranquille, la « qualité de la langue » parlée et écrite au Québec fait l’objet d’une grande polémique.

Mikaëlle Tourigny

D’un côté, les puristes dénigrent le français qui a cours dans notre province. De l’autre côté, les linguistes descriptifs tendent à le défendre et à le légitimer. L’insécurité linguistique répandue à travers notre territoire est au cœur de ce débat enflammé; le bagage historique du Québec constitue le pilier central de ce sentiment d’infériorité. La conquête de la Nouvelle-France par la Grande-Bretagne en 1759 a engendré chez les Canadiens français la peur de l’assimilation. Pour contrer ce phénomène, ils ont voulu renouer avec la France. De là, l’idée nait que pour éviter l’envahissement de la langue française, soit par l’anglais, on doit adopter un français puriste qui colle systématiquement au « bon usage » édicté par les élitistes de Paris. L’omniprésence de la langue anglaise sur le territoire et sur le plan international ainsi que la fixation sur le français hexagonal représentent les deux principaux enjeux qui alimentent l’insécurité linguistique.

Lorsqu’elle est attribuée à la langue française, la notion d’insécurité est « la prise de conscience, par les locuteurs, d’une distance entre leur idiolecte (ou leur sociolecte) et une langue qu’ils reconnaissent comme légitime parce qu’elle est celle de la classe dominante, ou celle d’autres communautés où l’on parle un français “pur”, non abâtardi par les interférences avec un autre idiome, ou encore celle de locuteurs fictifs détenteurs de LA norme véhiculée par l’institution scolaire ». Bref, l’insécurité linguistique est le sentiment de parler une variété de langue qui n’est pas prestigieuse et qui se situe hors de la norme.

La langue française comporte deux types de normes : l’usage et le « bon usage ». Les locuteurs francophones associent surtout la norme au « bon usage », un autre indicateur de l’insécurité linguistique ressentie. La norme reliée à l’usage rend compte de ce qui est le plus souvent employé et partagé par l’ensemble des locuteurs d’une même communauté linguistique. La norme du « bon usage », quant à elle, correspond à un modèle linguistique légitime et prestigieux, lequel les pratiques tendent à suivre.

Pourtant essentielle, la norme est un couteau à double tranchant : elle peut engendrer la dépréciation ou la survalorisation d’une variété de langue. Toutes les variétés de langues se valent linguistiquement, mais elles ne se valent pas socialement. Histoire, culture, variations et langue sont interdépendantes : ce sont ces relations qui créer toute sa richesse.

Deux types d’insécurité linguistique se manifestent : d’abord, il y a l’insécurité linguistique dite, engendrée par les discours négatifs où les locuteurs expriment une certaine honte de leur langue. Ensuite, on retrouve l’insécurité linguistique agie dans les pratiques. En voici quelques formes :

–  L’autocorrection, qui consiste à tenir des propos tels que : « je ne sais pas si c’est français » ou « il s’est grafigné… euh je veux dire… égratigné le genou ». L’autocorrection est surtout perceptible à l’oral.

–  L’hypercorrection, correspondant au fait de créer une faute en voulant justement éviter d’en commettre une. L’hypercorrection se manifeste aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Par exemple, à l’oral, l’habitude de prononcer « Mille-z-excuses » en voulant faire une liaison n’ayant pas lieu d’être.

–  L’autocensure, qui se manifeste lorsqu’un locuteur, à l’écrit comme à l’oral, opte pour une forme de phrase ou pour un mot plus sûr afin d’exprimer son idée. Cette forme d’insécurité linguistique engendre un manque de créativité flagrant.

Cette insécurité linguistique est répandue à travers la province en partie à cause des médias et à l’opinion populaire négative qui y circule : les recherches que j’ai effectuées dans le quotidien La Presse me permettent d’aborder dans le sens de ce constat. La pérennité de l’insécurité linguistique dépendra du chemin que les Québécois emprunteront afin de consolider leur identité. Et vous, quel sentiment entretenez-vous envers la langue française parlée au Québec?

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