Par Gabriel Martin
« L’homme porteur, l’homme enceint : cela arrivera, j’en suis sûre! Et ce sera plus extraordinaire que de marcher sur la lune », déclarait une féministe enthousiaste, il y a un peu plus de trente ans, dans la revue La Vie en rose (septembre 1986, p. 21).
Est-il possible qu’un homme soit enceint? Avec un grand rire, les cinéphiles aux goûts douteux pourraient répondre que oui, en songeant à Rabbit Test (1978) ou Junior (1994), deux comédies navets qui mettent en scène des hommes en état de grossesse.
De nos jours, dans la culture dominante, l’idée d’un homme enceint fait sourire bien des gens, qui croient cette réalité sexuellement impossible. Tout au plus, quelques personnes avanceront timidement que les hippocampes mâles sont fécondés par des femelles; les férus de culture amérindienne évoqueront peut-être aussi le triptyque Anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss, qui parle de mythes anciens sur la gestation d’hommes. En fait, aucun besoin d’aller chercher aussi loin.
Bien que cette réalité soit encore largement méconnue au Québec, certains hommes peuvent être enceints. En effet, depuis le début des années 2000, quelques hommes trans parlent ouvertement de leurs grossesses dans les médias, l’histoire la plus connue étant celle de Thomas Beatie, tombé enceint en 2008.
Les récits d’hommes trans enceints permettent de remettre en question la conception que plusieurs d’entre nous se faisaient encore récemment des catégories « hommes » et « femmes ». La Transyclopédie (2012, p. 190) parle même d’une « déconstruction du transsexualisme comme changement irréversible de sexuation ». Cela signifie grosso modo que l’existence des hommes enceints met de l’avant un fait encore ignoré par une majorité : les personnes trans n’ont pas toutes besoin, pour être bien dans leur peau, de subir des chirurgies modifiant leur corps.
Alors que les médias d’aujourd’hui dépeignent les trans comme des personnes qui « changent de sexe » (« vivent des génitoplasties », dirait-on mieux), les hommes enceints, par leur existence même, permettent d’ajuster le portrait. En fait, vous l’aurez compris, on ne détermine pas universellement si une personne est homme, femme ou non-binaire en fonction de ses organes génitaux ou de ses gènes, mais bien en fonction de comment elle se sent profondément elle-même. Après tout, l’essence des humains, qui sont des êtres plus entiers qu’on aime le dire, siège dans leur cerveau et non entre leurs jambes. Qu’en pensez-vous?
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