Les Afghanes réduites au silence 

Par Meg-Anne Lachance 

Deux femmes sont assises devant une mosquée de Mazar-e-Sharif.

La condition des femmes continue de se détériorer en Afghanistan. Trois ans après leur retour au pouvoir, le régime taliban vient d’annoncer la promulgation d’une nouvelle loi. Dorénavant, les femmes devront couvrir leur visage et ne pourront plus faire entendre leur voix en public. 

L’annonce, faite en fin août par le ministère taliban de la justice, vient retirer à nouveau le peu de droits restants pour les femmes afghanes. Selon le ministère, la loi a pour but de « promouvoir la vertu et prévenir le vice en conformité avec la charia ». 

En entrevue avec l’Agence France-Presse (AFP), le porte-parole adjoint du gouvernement, Hamdullah Fitrat, a tenu à préciser qu’aucune force ou pression ne sera utilisée dans l’application de la loi. Selon ses propos, les règles « seront appliquées avec ménagement en faisant appel à la compréhension des gens, et en les guidant ». 

Les nouveaux règlements permettent dorénavant au gouvernement de contrôler autant la vie privée que la vie publique de sa population. La loi régit notamment la tenue et la longueur de la barbe des hommes et interdit l’homosexualité, les combats d’animaux, la musique dans les lieux publics et les congés autres que ceux du calendrier religieux musulman. 

Pour les femmes, leur corps doit maintenant être entièrement couvert et il leur est interdit de faire entendre leur voix en public. Elles se retrouvent donc réduites au silence. Pour Chékéba Hachémi, présidente de l’association Afghanistan libre, cette nouvelle loi s’attaque à l’existence même des femmes. « On n’a plus le droit d’entendre le son de la voix d’une femme, ni d’apercevoir ne serait-ce qu’un bout de corps d’une femme. C’est comme si on leur disait : “On veut vous supprimer à petit feu” », explique-t-elle. 

L’international s’insurge 

Cette nouvelle vague de restrictions a fortement fait réagir la communauté internationale. L’ONU a catégorisé la situation en Afghanistan comme un « apartheid de genre » et a demandé l’abrogation « immédiate du texte ». 

De son côté, l’Union européenne a affirmé être « consternée » par la nouvelle loi qui, selon elle, porte « un nouveau coup » aux droits des femmes. Pour l’UE, le décret vient créer « un autre obstacle à la normalisation des relations » avec le pays. L’Union a réitéré que la reconnaissance du régime des talibans par les Européens ne se ferait que si le pays « respecte pleinement [ses] obligations internationales et envers le peuple d’Afghanistan ». 

L’«arrogance» occidentale 

Face à l’opposition de la communauté internationale, les talibans ont rejeté les critiques et dénoncé l’« arrogance » de l’Occident. « Rejeter ces lois sans chercher à les comprendre est, selon nous, une expression d’arrogance », a écrit le porte-parole du gouvernement afghan dans un communiqué publié le 26 août dernier. 

L’État avait appelé les organisations internationales, les pays et les individus à respecter les valeurs religieuses musulmanes transmises par les règlements. Le gouvernement a d’ailleurs mis fin à la coopération avec la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) en raison de leurs critiques envers la loi. 

Le Rapporteur spécial sur la situation des droits humains en Afghanistan, Richard Bennett, a également été interdit d’entrée dans le pays par les talibans. 

Pour Mélissa Cornet, spécialiste des questions de genre en Afghanistan, l’absence de reconnaissance du régime des talibans à l’international a été un point tournant. « Les talibans voulaient vraiment être reconnus par la communauté internationale, ils ont beaucoup rassuré », explique l’experte.  

« Dès l’instant où les talibans ont compris qu’ils ne seraient pas reconnus de manière formelle en récupérant un siège à l’ONU et les avoirs gelés de la Banque centrale, il y a eu un revirement », poursuit Mme Cornet. « Ils se sont donc dit : si nous jouons le jeu et que nous n’obtenons rien en échange, nous allons faire ce que nous voulons chez nous. » 

Une collaboration nécessaire  

Malgré leur dénonciation, l’ONU affirme continuer de travailler avec les talibans. 

« Nous avons critiqué haut et fort la décision de faire disparaître presque complètement la présence des femmes en Afghanistan. En ce qui concerne les contacts avec les autorités de facto, je veux dire que nous continuerons à collaborer avec tous les acteurs en Afghanistan, y compris les talibans », a confirmé Stéphane Dujarric, porte-parole de l’ONU. 

« Nous l’avons toujours fait conformément à notre mandat et je dirais de manière impartiale et de bonne foi, en respectant toujours les normes de l’ONU, en faisant passer notre message sur les droits de la personne et l’égalité. Nous poursuivrons notre travail tel que mandaté par le Conseil de sécurité », continue-t-il. 

Même si certaines personnes déplorent un manque d’action de la part des Nations Unies, Mélissa Cornet se range derrière l’organisation. « L’ONU travaille en Afghanistan et doit donc travailler avec les talibans. Si elle prend une position de principe très dure vis-à-vis des droits des femmes, elle va se faire expulser du pays, et plus personne ne pourra parler aux talibans et aider les Afghans », précise la spécialiste des questions de genre. 

Une situation qui serait loin d’être l’idéal pour la population d’un pays hanté par la pauvreté. Selon le dernier rapport de la Banque mondiale, la moitié de l’Afghanistan serait touchée par la pauvreté.  

Alors que l’avenir des femmes afghanes reste incertain, plusieurs d’entre elles tentent ce qu’elles peuvent pour être vues et entendues. Sur les réseaux sociaux, des dizaines de femmes se sont filmées en train de chanter avec le mot-clic #LetUsExist (« Laissez-nous exister »). 

« Vous avez peur de cette voix, et cette voix sera chaque jour plus forte », peut-on lire dans une publication partagée sur X. « La voix d’une femme est son identité, pas quelque chose qui devrait être caché », chante une jeune Afghane dans une autre vidéo. 


Crédits: Amina Moravej Flickr

Meg-Anne Lachance
Cheffe de pupitre SOCIÉTÉ at Journal Le Collectif  societe.lecollectif@usherbrooke.ca   More Posts

Étudiante en politique, Meg-Anne a toujours été intéressée par les enjeux internationaux, sociaux et environnementaux. Après avoir occupé le rôle de journaliste aux Jeux de la science politique, elle a eu la piqûre des communications. Guidées par un sentiment d’équité, elle s’efforce de donner une visibilité aux actualités oubliées. Féministe dans l’âme, vous pourrez certainement retrouver cette valeur dans certains de ses textes!

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