Par Julia Poulin
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Le 3 novembre dernier, Avocats sans frontières Canada et le Barreau du Québec rendaient public un mémoire en faveur de la libération de Raïf Badawi, le bloggeur saoudien condamné en 2014 à dix ans de prison, 1000 coups de fouets et une amende d’un millions de riyals (environ 289 000$ Can) par le Tribunal pénal de Jeddah appliquant la Loi saoudienne contre la cybercriminalité.
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Après s’être heurté au silence de la Cour suprême de l’Arabie Saoudite, qui a confirmé le verdict de culpabilité de M. Badawi en juin dernier et l’inaction du Ministre sortant des affaires étrangères canadiennes, John Baird, ASFC et le Barreau du Québec dévoilent les arguments juridiques soutenant la cause de Badawi. Dans un document d’une dizaine de pages, des avocats canadiens, dont certains spécialisés en droit islamique, critiquent le jugement vicié par l’irrespect des procédures prescrites par le droit saoudien et l’incohérence avec les normes de droit international. Bien vulgarisé, ce document permet à tous de comprendre les bases juridiques sur lesquelles M. Badawi a été trouvé coupable et les lacunes significatives qui entachent ladite condamnation.
Pascal Paradis, directeur général d’ASFC, décrit le mémoire comme «un outil additionnel pour mettre le dossier de Raïf Badawi à l’avant-plan des relations entre le Canada et l’Arabie Saoudite». Celui-ci a ainsi profité de l’assermentation du nouveau gouvernement canadien pour inciter le futur Ministre des affaires étrangères à mettre au programme cette question.
Il s’agit d’un argumentaire juridique qui démontre que les droits de M. Badawi à un procès équitable et une défense pleine et entière ont été profondément enfreints. En effet, le Tribunal de Jeddah n’était vraisemblablement pas compétent pour débattre de la question, sans parler que l’accusé n’a pas eu accès à un avocat de son choix afin d’assurer sa défense et est resté sans représentation juridique lors de l’essentiel du procès.
Ensaf Haidar, la femme de Raïf, s’adonne maintenant à temps plein dans cette courageuse campagne pour la libération de son mari injustement enfermé. Cette dernière, que j’ai eu la chance de connaître lors du trajet de voiture pour se rendre à la conférence de presse entre Sherbrooke et Montréal, affichait par moment des yeux remplis d’espoir et de gratitude et par d’autres, un regard imperturbable digne d’une battante. Depuis plus de 2 ans déjà, elle est arrivée au Canada en demandant le statut de réfugiée pour elle et les trois enfants du couple. Lorsque je lui demande dans quelle mesure ceux-ci sont informés de la situation de leur père, elle me répond qu’elle leur partage «tous les moments où l’espoir renaît comme aujourd’hui» et passe sous silence les épisodes moins heureux de la lutte qu’elle mène inlassablement.
Lorsque je la quitte de retour à Sherbrooke, je trouve dans ma voiture un livre qu’elle a oublié, il s’agit d’un ouvrage d’illustrations pour enfant intitulé Le Prisonnier sans frontières. L’auteur Jacques Goldstyn dédicace celui-ci aux enfants de la famille saoudienne en les comparant à de petits oiseaux qui vont rejoindre Raïf tous les jours dans sa cellule de prison. Derrière cette touchante personnification adressée aux enfants se cache pourtant une dure réalité, celle de Raïf, mais aussi celle de milliers de prisonniers victimes de flagrantes injustices. Le respect des droits fondamentaux n’est certes pas un enjeu de tous les jours pour nous, mais il représente un combat quotidien pour ses victimes et leur famille. Il est de notre devoir d’épauler ceux-ci et de faire pression sur le gouvernement Trudeau pour que leur injustice devienne une affaire personnelle pour la diplomatie canadienne.
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