Par Mark Beletsky
Le Moyen-Orient est le théâtre de conflits sanglants depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les conflits interétatiques directs qui animent la région, à l’image des guerres israélo-arabes ou de la guerre Iran-Irak, se raréfient à l’aube du nouveau millénaire. La fin de la guerre froide, qui a divisé le monde en deux blocs antagonistes, laisse un vide idéologique qui mène à de nouvelles polarisations.
Au tournant du 21e siècle, la rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite, deux puissances régionales, embrase le Moyen-Orient. Cette nouvelle fracture s’enracine dans la Révolution islamique de 1979, qui remplace la monarchie iranienne par une république théocratique anti-occidentale. De l’autre côté, la dynastie saoudienne reste fidèle aux intérêts occidentaux, froissant ainsi les prétentions hégémoniques de l’Iran.
Après de multiples tentatives de rapprochements diplomatiques, la situation s’envenime. Le Moyen-Orient plonge dans une confrontation indirecte entre les deux protagonistes. Une nouvelle guerre froide prend vie dans les cendres de l’ancienne.
Schisme et chiisme
La Révolution islamique, résultant du schisme de l’islam, fracture le monde musulman. Deux axes politico-religieux se dessinent progressivement. D’un côté, la branche sunnite, qui regroupe près de 90 % des musulmans, est dirigée par l’Arabie saoudite. De l’autre, la faction minoritaire chiite s’articule autour de l’Iran.
L’intervention américaine en Irak chasse le sunnite Saddam Hussein du pouvoir en 2003. L’opposition chiite en profite pour établir un gouvernement pro-iranien. Il s’agit de la pièce manquante au « croissant chiite ». Celui-ci est constitué du régime de Bachar Al-Assad, dictateur syrien issu d’une minorité chiite, mais également du Hezbollah, une organisation islamiste libanaise.
Les guerres civiles qui déchirent le Moyen-Orient depuis la dernière décennie sont l’extension de cet antagonisme. Ainsi, dans le cas de la guerre civile syrienne qui dure depuis 2011, l’Iran soutient tant militairement que financièrement le gouvernement d’Al-Assad dans sa lutte contre les rebelles prosaoudiens.
La situation au Yémen est similaire. L’insurrection houthiste qui secoue le pays depuis 2004 découle d’un sentiment de marginalisation de ce groupe chiite pro-iranien. La prise de Sanaa, capitale yéménite, par les Houthis déclenche une opération militaire de l’Arabie saoudite en 2015, créant l’une des pires crises humanitaires contemporaines.
En septembre 2019, la situation s’embrase à nouveau. Une attaque contre des infrastructures pétrolières saoudiennes est revendiquée par les Houthis. Alors que les puissances occidentales et l’Arabie saoudite pointent du doigt l’Iran en évoquant un « acte de guerre », celui-ci menace de lancer une « guerre totale » en cas de représailles.
Pour l’instant, les représailles américaines prennent la forme de sanctions économiques plus sévères, même si plusieurs républicains plaident pour des frappes militaires directes.
Bras de fer avec Israël
Le clivage religieux dresse cependant un portrait incomplet. En réalité, ce sont davantage des intérêts stratégiques qui animent la politique étrangère iranienne. Pour Clément Therme, chercheur de l’Institut international d’études stratégiques, « la communauté chiite n’est pas homogène […] et ne [partage] pas les conceptions théologico-politiques promues par le clergé officiel de la République islamique ».
Ainsi, l’Iran choisit parfois des alliés sunnites, pourvu qu’ils partagent des intérêts stratégiques communs. C’est notamment le cas du Hamas, mouvement islamiste sunnite qui contrôle Gaza depuis 2006.
En août 2019, l’Iran annonce une augmentation du financement destiné au Hamas, qui passe de 6 à 30 millions de dollars par mois. Selon un rapport des services de renseignement israéliens, l’instrumentalisation de l’antisionisme par l’Iran est une tentative d’encercler l’État hébreu en vue d’une éventuelle guerre.
Israël se sent surtout menacé par le programme nucléaire iranien. En 2015, il s’opposait fermement à l’accord sur le nucléaire iranien qui visait à lever les sanctions économiques en échange d’une réduction de l’enrichissement d’uranium. Ainsi, le retrait américain de l’accord en 2018 et le durcissement des sanctions contre l’Iran sont applaudis par Israël.
Or, avec l’accélération du programme d’enrichissement d’uranium en 2019, l’Iran n’inquiète plus seulement l’État hébreu et son allié américain. La volonté de Mohammed ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite, de se doter de l’arme nucléaire pour contrebalancer le pouvoir iranien plonge le Moyen-Orient dans une course à l’armement qui rappelle la guerre froide. Reste à savoir si la solution militaire l’emportera sur la voie diplomatique.
Crédit Photo @ Info ou Mytho? – chaîne YouTube