Par Gabrielle Goyet
C’est officiel : le BRICS ouvrira ses portes à de nouveaux membres à compter du 1er janvier 2024. Cette annonce survient au lendemain du 15e sommet du regroupement, alors que les pays membres se sont rencontrés à Johannesburg du 22 au 24 août dernier. Si tout se déroule comme prévu, l’Argentine, l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis prendront part à ces réunions influentes dès janvier.
Cette nouvelle en a surpris plus d’un, considérant que les demandes d’adhésions à ce club sélect se sont multipliées depuis plusieurs années, et ce sans débouchés jusqu’à récemment. Ce sont une quarantaine de pays qui ont mentionné un désir de prendre part à ce regroupement, dont 23 auraient officiellement soumis leur demande.
Le Nord et le Sud global s’entrechoquent
Le terme « BRICS » désigne le bloc des cinq pays émergents que sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Ces États sont souvent désignés comme les économies en développement les plus influentes au monde, alors qu’ils regroupent plus de 40 % de la population mondiale et plus de 25 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Le premier sommet regroupant ces puissances émergentes s’est tenu en 2009, avant que l’Afrique du Sud rejoigne l’organisation, à l’occasion d’une conférence diplomatique par an jusqu’à aujourd’hui.
La création du regroupement s’est faite au lendemain de la crise financière mondiale de 2008, alors que les membres du BRICS revendiquent une plus grande influence sur la gouvernance économique mondiale. Jusque-là, la structure mondiale avait été créée essentiellement par les puissances occidentales et avait assuré leur prédominance au travers des institutions comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). En réponse à ce débalancement, le BRICS se dote d’une banque de développement indépendante dès 2014.
Si le G7 rassemble sept des dix pays ayant les plus gros PIB à l’échelle mondiale, les membres du BRICS occupent quant à eux les 2e, 5e, 8e, 11e et 38e rangs du classement. Pour Serge Granger, professeur à l’Université de Sherbrooke spécialiste des relations sino-indiennes, le regroupement est fondamentalement économique, bien qu’il possède un certain but géopolitique. « La mission politique du BRICS est de faire contrepoids aux États-Unis et au G7, mais surtout sur le plan économique. Outre cela, il est plutôt difficile de trouver un dénominateur commun, quand les systèmes politiques et les objectifs des pays membres sont aussi disparates. »
Les normes d’entrée
Ainsi, il est maintenant officiel que six nouveaux pays acquerront le statut de membre dès janvier 2024. Pour le Professeur Granger, les motifs des pays candidats sont assez variés. « Pour certains pays, devenir membre du BRICS permet de s’éloigner des États-Unis. Pour d’autres, cela leur permet d’être à l’abri de sanctions économiques, comme l’Iran, qui exporte beaucoup de pétrole. C’est aussi une façon d’aller chercher des prêts pour des pays comme l’Argentine, qui ont davantage de problèmes avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. »
Cependant, une chose est certaine, c’est qu’il est attrayant pour ces pays de prendre part au BRICS. Pour l’organisation aussi, il s’agit d’une plus-value que d’ouvrir ses portes à de nouveaux membres. Ceux-ci auraient été choisis grâce à leur pouvoir d’influence, selon le Professeur Granger, mais également en raison de leur représentativité géographique. Jusque-là, aucun pays du Moyen-Orient ne faisait partie du groupe, et l’on retrouvait seulement deux pays non asiatiques dans l’alliance.
Étant prioritairement une organisation économique, les productions des pays ont également joué un rôle important. À titre d’exemple, le Professeur Granger souligne que l’Argentine et l’Éthiopie exportent beaucoup de denrées alimentaires, alors que la Chine et l’Inde ont un nombre croissant de bouches à nourrir. L’Égypte, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran sont pour leur part très connus pour leur production pétrolière et des produits dérivés. En misant sur le multilatéralisme, il est d’autant plus important d’avoir des économies compatibles, souligne-t-il.
Jouer sur plusieurs tableaux
L’objectif fondamental du BRICS demeure le multilatéralisme. Le président chinois Xi Jinping a affirmé que « les pays du BRICS doivent œuvrer en faveur du multilatéralisme et ne pas créer de petits blocs. Nous devons intégrer davantage de pays dans la famille du BRICS », selon Radio-Canada. Dans le même ordre d’idées, Vladimir Poutine a soutenu que « tous les pays membres défendent un ordre mondial multipolaire ».
Pour le Professeur Granger, tout n’est pas aussi simple : « le BRICS demeure sinocentré, considérant que la Chine représente 70 % du PIB du groupe. En ouvrant à d’autres membres, cela vient fortifier et amplifier la capacité d’influence de la puissance chinoise ». Mais bien que cette ouverture bénéficie davantage au géant chinois, il aurait été improbable de voir les autres membres fondateurs s’opposer publiquement à l’expansion. « Sachant que le BRICS prône un multialignement, cela aurait été étrange de voir un pays comme l’Inde ne pas soutenir cette ouverture ultimement. »
Souhaitant pousser le multilatéralisme à un autre niveau, la dédollarisation des économies du BRICS a également été abordée lors du récent sommet. L’idée de créer une monnaie propre aux membres serait à envisager pour certains chefs d’État. La première étape demeurera toutefois de renforcir et de multiplier les transactions internes au BRICS en monnaie locale. Voulant limiter l’influence américaine sur l’économie mondiale, délaisser le dollar devient l’option la plus plausible. Cela laisserait cependant un vide à combler, attendant la création d’une monnaie unique.
Dans certains cas, le yuan chinois est désormais devenu l’alternative au dollar américain. Souhaitant se défaire d’une influence occidentale, la satellisation par la Chine pourrait rapidement devenir la nouvelle réalité des membres du BRICS. Le Professeur Granger conclut : « L’idée avec le multialignement, c’est de maintenir un certain équilibre. Avec cette approche, on obtient le meilleur des deux mondes. Mais combien de temps encore va-t-on permettre aux pays membres d’être sur la clôture et de ne pas choisir de camp ? »
Source: Wikimedia