Par Gabriel Martin
Que dire lorsque l’enfant de nos parents — que nous croyions être notre frère ou notre sœur — nous apprend être en fait une personne non binaire, dont l’identité de genre n’est ni masculine ni féminine? Après avoir prononcé quelques paroles aimantes comme « je te remercie pour ta confiance, tu as le droit à ton identité, et je t’aime pour qui tu es », comment désormais nommer respectueusement cet être cher, en évitant les mots frère ou sœur, qui sont porteurs d’un genre?
Dans certaines langues, la question se résout facilement. Par exemple, en anglais, le mot sibling, parfois abrégé en sib, est couramment utilisé depuis le XXe siècle comme terme générique, qui peut remplacer les mots spécifiques frère et sœur. De même, en espéranto, on emploie de plus en plus fréquemment le néologisme gefrato, où l’ajout du préfixe ge- à la base frato permet de signaler explicitement que l’emploi est épicène, c’est-à-dire qu’il ne présuppose pas le genre du référent.
Mais comment traduire sibling ou gefrato en français? Comment référer à la même réalité sans user d’une périphrase encombrante et boiteuse comme « la personne qui est mon frère ou ma sœur sans être pour autant un homme ou une femme »?
Au Québec, le terme frœur, un mot-valise formé par le télescopage (la fusion) de frère et sœur est parfois employé dans les milieux trans pour résoudre la lacune lexicale en question. Ce terme, absent de l’usage général, pose toutefois certaines difficultés, notamment sur le plan phonétique. En effet, les prononciations de frère et de frœur se ressemblent tellement que les deux mots peuvent facilement être mépris l’un pour l’autre. D’ailleurs, les personnes qui se sont risquées à prononcer frœur en dehors des milieux initiés le déplorent : cet emploi est souvent confondu avec un bête problème de diction…
Sans chercher à invalider frœur, je me permets de proposer un autre terme, qui m’apparait apte à traduire avec précision la notion de sibling ou de gefrato : il s’agit du mot adelphe.
Le terme adelphe provient du grec ancien ἀδελφύς (adelphós), un adjectif qui pourrait se traduire approximativement en « relatif aux enfants de mêmes parents ». À l’origine, ce mot signifiait utérin, en allusion au fait que les enfants proviennent nécessairement d’un utérus. Qu’on aime ou non cette référence biologique originelle, rappelons qu’un mot n’est jamais prisonnier de son histoire et que tout groupe solidarisé peut se réapproprier un mot anciennement entaché.
Puisque le mot adelphe commence par une voyelle, il peut s’utiliser de manière épicène avec la plupart des déterminants usuels. Ainsi, on peut par exemple parler de « mon adelphe », sans que l’on puisse déterminer le genre du déterminant mon, qui s’utilise au masculin (comme dans « mon amoureux ») et au féminin (comme dans « mon amoureuse »), aussi bien qu’à l’épicène (comme dans « mon amoureusi »).
Une connaissance qui m’a entendu utiliser le mot adelphe m’a indiqué que dans certains groupes montréalais, on utilise déjà le dérivé adelphique, au sein de la formule « Salutations adelphiques! », prononcée pour dire bonjour ou au revoir à des camarades. L’emploi est intéressant : en plus de pouvoir dorénavant utiliser adelphe à la place de frère et sœur, on pourra aussi remplacer fraternel et sororal par adelphique. Et pourquoi ne pas, tant qu’à secouer le joug séculaire du genre, en profiter pour remplacer fratrie, par adelphie? L’idée est lancée!
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