Je suis surement folle

Par Arianne Martel

Il faisait soleil à Budapest ce jour-là. Mon copain et moi avions rencontré un groupe de jeunes Hongrois avec lequel nous passâmes la nuit à boire du bon vin et à discuter de tout et de rien dans un bar traditionnel. Pendant la soirée, je posai à l’un d’eux, qui étudiait le droit, tout comme moi, une question touchant le système juridique hongrois : «tu t’intéresses à ça, toi?», me répondit-il avec dédain. Évidemment que je m’y intéressais. Saisie par l’aigreur de la réponse, je ne bronchai pas. Je compris plus tard qu’il n’avait pas aimé que je m’intéresse à «un sujet d’homme».

À Sarajevo, chez un homme rencontré par le biais du «Couchsurfing», un évènement semblable arriva. Alors que le maître des lieux nous présentait sa demeure, en aucun cas il ne m’adressa la parole. Il présenta méticuleusement les pièces à mon compagnon… sauf quand vint le moment de nous initier au fonctionnement du four et à l’endroit où se trouvait son liquide à vaisselle : «Arianne, tu peux cuisiner ici, les plats sont dans cette armoire». Mon premier réflexe, conséquence de l’incrédulité, fut de rigoler. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je compris qu’il ne plaisantait pas.

Je ressentis, à quelques reprises, pendant ce voyage, ce que c’était que de voir mon humanité réduite à mon sexe.

Toutefois, ces évènements semblent bien anodins lorsqu’on les met en parallèle avec les statistiques du dernier rapport d’UNICEF,rendu tout dernièrement. Selon ce rapport, à l’échelle mondiale, environ une fille de moins de 20 ans sur dix a subi des rapports sexuels forcés. Le tiers des 84 millions d’adolescentes mariées et âgées de 15 à 19 ans a été victime de violences émotionnelles, physiques ou sexuelles perpétrées par leur mari ou leur partenaire. Des nouvelles qui font mal au cœur.

Il est vrai qu’en tant que femme faisant partie d’un Québec où «(…) le respect de la dignité de l’être humain, l’égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des droits et libertés dont ils sont titulaires constituent le fondement de la justice, de la liberté et de la paix;», il est difficile de croire encore au sexisme… mais on oublie trop souvent que le sexisme, c’est plus que la violence physique faite aux femmes. C’est entre autres de croire qu’il est normal qu’une fille soit belle, mince et pomponnée. C’est de croire qu’une femme se fait violer par sa propre faute et d’accepter que la grande majorité des postes de haut niveau soit tenue par des hommes, dans des organismes privés comme publics.

Il y a encore beaucoup de travail à faire au niveau du droit des femmes au Canada. Certaines mentalités sont ancrées dans la population depuis trop longtemps. Prenons pour exemple ce juge de la Cour d’appel d’Alberta qui, il y a de cela une quinzaine d’années dans l’affaire du viol d’une jeune femme, a cru bon de souligner que  «[…] la plaignante n’était pas vêtue d’un bonnet et d’une crinoline lorsqu’elle s’est présentée devant [l’intimé] et qu’elle est entrée dans sa remorque.». Elle ne portait pas de bonnet, en effet : c’était l’été et cette femme portait des shorts. L’intervention fut critiquée en Cour suprême, mais le fait qu’elle ait été formulée rappelle qu’au Canada, à l’instar du reste du monde, une certaine forme de sexisme perdure.

Une constatation s’impose : le féminisme n’a pas fait son temps.

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