Par Yaomie Dupuis
Les élections brésiliennes de 2022 se sont soldées par la résurrection du candidat de gauche, Luiz Inácio Lula da Silva. À 77 ans, le nouveau président récolte l’appui de 50,9 % du vote populaire relativement à Bolsonaro. Cependant, cette victoire ne s’est pas déroulée sans anicroches. Le nouveau président devra éminemment prouver sa capacité à rallier et unir les Brésiliens, nerf de la guerre pour le début de son mandat.
Joute politique, idéologique ou émotionnelle ?
Le président entrant, Luiz Inácio Lula da Silva, n’en est pas à son premier mandat. Ayant présidé de 2003 à 2011, l’homme politique est un habitué des courses électorales, et celle-ci n’aura été comparable à aucune autre. Tel un Phoenix, Da Silva renait de ses cendres après avoir purgé une peine d’emprisonnement d’un peu plus d’un an pour corruption en 2018. Selon le site d’information Le Monde, c’est suite à une décision rendue par la Cour suprême du Brésil que Da Silva fut jugé coupable d’octroi de contrat contre des pots-de-vin.
Jair Bolsonaro n’a pas manqué d’attaquer son rival en l’accablant publiquement d’être « une honte nationale », un « voleur » et un « ivrogne ». Ce à quoi le candidat du Parti des travailleurs (PT) a répondu en promulguant des propos tout aussi réducteurs à propos de son rival tel que « petit dictateur », « roi de la stupidité », « génocidaire » et même de « cannibale », rapporte Le Soleil. L’escalade entre les deux candidats à la présidence a certes contribué à mettre en exergue les divergences d’opinions entre les bases électorales de chacun des partis politiques, mais ce qui a mis le feu à l’allumette est indéniablement l’attitude de Bolsonaro suivant sa défaite. Selon Felipe Nunes, Président du Quaest Research Institute, liés aux émotions, les partisans se perçoivent désormais comme des ennemis et non plus comme de simples adversaires politiques.
Des germes d’un scandale à l’américaine ?
Pour reprendre les mots de Thucydide, l’histoire est un perpétuel recommencement. Le début de l’année 2023 rappelle celui de 2021, faisant ressurgir ainsi l’amer souvenir de l’insurrection du Capitole américain. Plongé au cœur d’une crise politico-sociale, le Brésil entame la nouvelle année à travers des manifestations causant des conséquences telles que des blessés, un ex-président en exil, un ancien ministre arrêté et faisant l’objet d’une enquête ainsi qu’une démocratie mise à l’épreuve, selon La Presse.
Ce n’est pas la première fois, que le Brésil connaît des épisodes de soulèvements populaires. En 2018, une grève des routiers, nécessitant l’intervention des forces coercitives, avait complètement paralysé les artères principales du pays pendant onze jours. Toutefois, l’ampleur des actions collectives auxquelles doit faire face le nouveau président, élu seulement depuis une semaine, relève de l’exceptionnel. Selon La Presse, en juin dernier, un drone planant au-dessus de militants du PT a déversé de l’urine et des excréments. Les mesures de sécurité telles le port de gilet pare-balles pour tous les candidats et l’ajout de tireurs d’élite dissimulés lors des rassemblements partisans étaient une première. Le lendemain du jour J, le climat de tension s’est immiscé rapidement et la portée des manifestations a pris une tout autre signification.
Le Devoir rapporte que le mardi suivant la défaite de Bolsonaro, alors que celui-ci n’avait pas reconnu les résultats du scrutin, la police brésilienne dénombrait plus de 250 barrages routiers. Comme l’ancien président américain Donald Trump, Jair Bolsonaro a copieusement réfuté les résultats de l’élection présidentielle. Jugeant que les votes électroniques enregistrés par certaines machines devraient être invalidés, le chef d’État sortant a déposé une requête introductive d’instance pour « fraude électorale » auprès du tribunal supérieur électoral (TSÉ) selon le journal Le Soleil. Faute de preuve, le recours a non seulement été rejeté par le TSÉ, mais le président du Tribunal a également émis une amende salée de 22,9 millions de Réaux au PSL pour ce qu’il qualifie de « litige de mauvaise foi ».
Loin de satisfaire les partisans de Bolsonaro, la décision du TSÉ a ravivé leur indignation, ce qui a poussé les tensions à leur paroxysme. Le 8 janvier 2023, une semaine après l’assermentation de Lula, ce que plusieurs politologues craignaient s’est finalement produit. Selon un article de Radio-Canada publié au début de l’année, un peu plus de 4 000 manifestants bolsonaristes ont investi le Congrès, le palais présidentiel et la Cour suprême à Brasília. Au total, plus de 1 100 contrevenants ont été incarcérés par la police brésilienne. Jusqu’à maintenant, la facture des dommages causés dans les deux chambres du Congrès s’élève à plus de 1,5 million de dollars canadiens.
Réprimé par plus de 93 % de la population brésilienne selon un sondage de l’institut Datafolha, le mouvement insurrectionnel n’a trouvé écho qu’auprès de la branche des partisans la plus extrémiste. Le nouveau président brésilien, persuadé qu’il y aurait eu des complices à l’interne pour ouvrir les portes du palais de Planalto aux manifestants, s’est lancé dans une quête afin de les identifier.
Depuis ces événements, le calme semble être revenu, mais les prochains moins ne s’annoncent pas de tout repos. Les contestataires pourront être accusés, par exemple, d’actes terroristes, d’association criminelle, d’attaques de l’État démocratique, de participation à une tentative de coup d’État et d’incitation au crime, selon La Presse. Le 12 janvier, accusé d’avoir financé le transport des manifestants lors de l’insurrection dans une centaine d’autocars, le bureau de l’Avocat général de l’Union (AGU) a demandé que les comptes de ces 52 personnes et de ces sept entreprises soient suspendus.
Selon Le Devoir, Alexandre de Moraes, juge de la Cour suprême, a exigé qu’une enquête soit menée concernant la conduite des commandants de la sécurité publique et du gouverneur du district fédéral, monsieur Ibaneis Rocha, qui est actuellement en arrêt de travail forcé pour 90 jours. Le 13 janvier dernier, le juge a déclaré que l’ex-président brésilien sera également visé par ces enquêtes. Toujours aux États-Unis, Jair Bolsonaro n’est pas revenu au Brésil depuis son départ hâtif le 30 décembre 2022. Pour l’instant, aucun jugement n’a été émis. Espérons que les procédures judiciaires se dérouleront sans embûches et que les prochains mois seront plus calmes.
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