Par Alysée Lavallée-Imhof
À l’été 2015, j’ai séjourné deux semaines dans la communauté inuit de Kuujjuarapik. Village inuit le plus au sud parmi les quatorze, répartis en un long chapelet, l’endroit charme avec ce grand bleu de la baie d’Hudson qui s’étend à perte de vue. Ses attraits m’ont évidemment séduite, mais Kuujjuarapik a somme toute été, pour moi, un périple de rencontres.
Au lecteur assidu, je préciserai que ce texte présente la perspective que mon interlocutrice a bien voulu me livrer de bonne foi. Tenaillée par l’envie de partager son point de vue, je livre le texte issu de notre rencontre.
À Kuujjuarapik, au milieu de la toundra, la culture se vit chaque jour. Elle s’entend. Dans les syllabes mélodieuses. Ici, c’est à l’école que les enfants apprennent les rudiments d’inuktitut. Ensuite, le choix de l’anglais ou du français s’impose, non sans conséquence, comme me raconte Zoé.
Zoé étudie à Montréal, en psychologie. Dans la grande ville. Chaque année, elle quitte le village et ne revient qu’au début de l’été. À 11 ans, c’est ce choix, déchirant, celui de partir pour poursuivre ses études, qui s’est imposé à elle. Non qu’elle n’aurait pu les suivre ici, mais de son propre aveu, la qualité de l’enseignement n’était pas la même. Puis, comme son père habitait déjà à Montréal, le choc était donc moins grand. Mais, les défis n’ont pas manqué sur les bancs d’école. Elle se rappelle qu’en troisième année du primaire, il fallait recommencer à zéro. Dans une tout autre langue, c’est peu dire, alors totalement étrangère et inconnue. Le résultat : un retard important sur les autres matières, puis une langue qui lentement se perd. Si elle parvient tant bien que mal à comprendre sa grand-mère, son neveu en est incapable. Du même souffle, elle ajoute que la tradition orale s’oublie lentement : elle avoue ne savoir coudre que des mitaines en fourrure, alors que sa grand-mère, elle, peut habiller de la tête aux pieds.
C’est aussi en troisième année que les visages des enseignants changent. Plus pâles. Le prof blanc, nouvellement diplômé, se retrouve projeté dans une réalité qu’il peine parfois à comprendre. Alors que le choc culturel rend difficile l’adaptation, les départs précipités sont nombreux. Et pour Zoé, une telle situation expose les enfants à un défaut de stabilité et de structure.
Puis, au secondaire nait le sentiment de l’inutilité. C’est ainsi que sa cousine en est venue à dire qu’elle n’apprenait rien, prétexte pour fuir en hâte les salles de classe. Mais elle n’est pas la seule, le taux de décrochage avoisine la barre des 80 %. Zoé le sait et pour cause, il y a quelques années, son frère a obtenu un diplôme, seul des dix étudiants de sa classe. Pour Zoé, nombreuses sont les pistes qui permettent d’esquisser une réponse. L’importance de l’éducation dans la culture inuit y joue notamment un rôle : pour bien des ainés de la communauté, l’école demeure intimement liée aux misères des pensionnats. Mais lorsqu’il s’agit de déterminer le facteur critique, elle n’hésite pas une seconde : des cours déconnectés du mode de vie des Inuit.
Chaque année, une poignée d’étudiants entreprennent des études supérieures au sud. Peu tiennent jusqu’au bout. Un ensemble de facteurs expliquent ces abandons. Sans oublier que la plupart doivent d’abord s’inscrire à l’année préparatoire aux études collégiales, retard pédagogique trop important oblige. Alors que nous discutons, je réalise qu’étudier est un véritable parcours parsemé d’embuches. Mais il n’en demeure pas moins que certains y parviennent, motivés par la perspective de pouvoir, un jour, exercer le métier qui leur plait.