Dim. Mai 19th, 2024

Par Eugénie Larente-Richer

Le 1er novembre dernier a eu lieu un séminaire organisé par le Laboratoire pour la recherche critique en droit (LRCD), présenté par Alain Deneault, docteur en philosophie de l’Université Paris-VIII et directeur de programme au Collège international de philosophie à Paris. Ce séminaire avait pour grands thèmes l’écologie, l’économie et le droit. Les multiples travaux d’Alain Deneault ont notamment porté sur les multinationales, plus précisément sur la firme française Total.

Le séminaire a débuté par l’explication de la raison pourquoi il n’aborderait pas le sujet des multinationales plus en profondeur. Il souhaitait plutôt consacrer la majorité du séminaire à la prise de conscience à laquelle il avait été confronté il y a un certain temps, soit la crise écologique, ou « l’érosion exponentielle », comme ce dernier l’a lui-même qualifiée. Cette prise de conscience face à l’urgence climatique lui aurait apporté une foule de questionnements quant au besoin d’un changement de paradigme de l’économie, tant national qu’international, et la nécessaire redéfinition du terme « économie » afin de guider la société vers de meilleures pistes de solutions devant un avenir plutôt incertain sur le plan climatique.

Économie et capitalisme

M. Deneault a d’abord présenté l’une des dernières recherches qu’il avait réalisées, étant donné le partenariat avec le LRCD, qui portait sur le statut des multinationales aujourd’hui, et ce, dans le cadre de la mondialisation économique. Il souhaitait également aborder le rapport unique entre les multinationales et le droit, car ces dernières n’existent pas comme tel au sein de cette discipline, tel qu’il en fait part dans l’un de ses récents ouvrages De quoi Total est-elle la somme ? Or, Alain Deneault a finalement choisi de ne pas aborder ce sujet plus en profondeur en raison d’une réflexion et un certain choc face aux conclusions qu’il tirait de ses travaux concernant les multinationales et la conception actuelle de l’économie. En effet, ses travaux sur la multinationale lui ont permis de comprendre notamment l’utilisation erronée du terme économie.

Au terme de ses recherches, Alain Deneault en est venu à une conclusion : la définition actuelle de l’économie se résume au capitalisme. Ces deux termes qui semblent aller de pair pour la majorité de la société, selon Alain Deneault, possèderaient une certaine rhétorique du profit darwiniste. C’est-à-dire que les entreprises et les institutions qui sont créées doivent être des plus rentables, sans quoi elles seront détruites, et ce, peu importe le coût que cette mise à pied engendre.

L’économie serait donc aujourd’hui réduite au capitalisme, à ce qui permet au capital de croître et aux indices qui y sont liés, tel le produit intérieur brut (PIB), par exemple. Toutes les actions prises par les autorités et les individus eux-mêmes sont donc faites dans l’optique de faire croître à tout prix le PIB, de prendre des mesures qui sont bonnes pour l’économie.

Toutefois, cette même rhétorique darwiniste aurait de multiples effets néfastes en raison de cet attrait pour le capital. Le calcul coût-bénéfice serait toujours effectué en fonction de l’augmentation des profits, même si les conséquences s’avèrent dévastatrices d’un point de vue environnemental, par exemple. M. Deneault, à titre d’exemple, mentionnait les cas de surpêche ou des coupes à blanc, activités qui s’avèrent certes lucratives, mais qui ont des effets dévastateurs et pratiquement irréversibles sur la planète.

C’est à ce moment dans ses travaux que M. Deneault a pu réaliser l’ampleur des conséquences néfastes de cette vision et mésinterprétation de terme économie. En effet, ce dernier a été confronté aux conséquences environnementales d’une telle interprétation et mode de vie.

L’érosion exponentielle, un phénomène dynamique qui nécessite un recadrage économique

Comme mentionné, au terme de ses travaux sur les multinationales, Alain Deneault a été confronté à une crise écologique qu’il qualifie d’« érosion exponentielle ». Cette crise découlerait directement du mode de vie adopté depuis plusieurs décennies par les pays développés du monde, soit les pays du nord, notamment. Face à cette prise de conscience de la crise écosystémique, M. Deneault souhaitait marquer une rupture dans ses travaux afin de prendre position vis-à-vis la crise et ne plus contribuer à ce système nocif, un acte de contestation, mais aussi de conscientisation.

Cette prise de conscience a permis à M. Deneault de constater notamment deux éléments. D’abord, il choisit de nommer la crise écologique « érosion exponentielle » afin de lui donner un cadre temporel et dynamique. En effet, les changements climatiques ont déjà cours et ne cesseront pas. De plus, cette appellation permettrait de comprendre le processus de délitement des ressources naturelles, mais aussi des avenues possibles pour le futur tant sur les plans politique et économique que social. Selon Alain Deneault, nous « serions dans un ordre d’extinction qui annonce un changement de paradigme évident ».

Il serait essentiel que l’on se dote de termes et d’outils qui sont à jour afin d’être en mesure de survivre. Il souhaite désormais orienter ses travaux vers la redéfinition nécessaire du terme économie, ou plutôt le retour à sa définition d’origine, qui dans les faits, n’a rien à avoir avec l’argent.

En fait, Alain Deneault voudrait que l’on se rappelle que l’économie est au cœur des sciences de la nature, de l’art, du droit et de la logique, des domaines qui ne sont pas en lien avec l’argent. Ses mots traduisent d’ailleurs même son esprit : « Si l’on en prend connaissance quant à sa généalogie et à sa philologie, beaucoup plus qu’à son étymologie, l’on comprend que ce mot-là [économie] est profond, dense, polysémique et constitue pour nous face au défi qui s’annonce, une force. C’est pour cela donc qu’il est impératif de se le réapproprier et de considérer que qui que nous soyons, nous sommes tous des économistes, car nous avons tous un jour ou l’autre à penser à et organiser les relations entre les choses de façon à générer un résultat que nous jugeons bon. » Finalement, selon Alain Deneault, « le travail que nous faisons aujourd’hui sera la marge du modèle de demain ».


Crédit Photo @ La Presse

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