Sam. Juil 20th, 2024

Par Quentin Laborne

« Partir, ce n’est pas chercher, c’est tout quitter, proches, voisins, habitudes, désirs, opinions, soi-même. Partir n’a d’autre but que de se livrer à l’inconnu, à l’imprévu, à l’infinité des possibles, voire même l’impossible. Partir consiste à perdre ses repères, la maîtrise, l’illusion de savoir et à creuser en soi une disposition hospitalière qui permet à l’exceptionnel de surgir. Le véritable voyageur reste sans bagage et sans but », disait Eric-Emmanuel Schmitt.

Mes collègues et moi-même sommes revenus de cette expérience de trois mois en sol haïtien depuis deux semaines déjà. Aujourd’hui encore plus qu’auparavant, ces quelques lignes, extraites d’une de mes lectures en Haïti, sont de celles qui résonnent le plus profondément dans mon esprit. La nostalgie se mêle au plaisir de revoir ses proches, l’enthousiasme à réciter les aventures vécues se frotte au désir de rattraper le temps perdu, et les retrouvailles d’un confort longuement anticipé rappellent le souvenir d’un exotisme dorénavant révolu. Retour sur une expérience marquante, une parenthèse à l’échelle d’une vie…mais quelle parenthèse!

De la disposition à l’apprentissage

Une expérience telle que celle que nous avons vécue représente une croissance, un développement sur le plan individuel qui, à mon sens, reste inégalable. Certes, il y a un apprentissage professionnel et académique. Celui-ci s’est surtout traduit par l’application de notions apprises au cours de notre formation, l’organisation d’un projet d’une telle envergure (on parle tout de même d’un rapport de presque 200 pages), et la concrétisation de ce travail auquel nous souhaitions sincèrement insuffler une portée concrète sur le terrain, et dont nous sommes immensément fiers. Mais le travail que nous avons réalisé reste avant tout l’aboutissement d’une démarche. Dans ce cas-ci comme pour bien des cas, le voyage est bien plus excitant que la destination.

La citation qui entame cet article représente à merveille la démarche de travail sur soi qu’implique une telle expérience. Ultimement, je qualifierais cette démarche de disposition à l’apprentissage. Je ne parle pas ici d’apprentissage de la langue ou des coutumes, bien que cela fasse partie intégrante du processus (la qualité de notre créole en attestera), mais davantage d’une démarche personnelle et introspective. Partir durant trois mois dans ce type d’environnement, presque entièrement coupé de ses proches et de ses repères, c’est se mettre dans un état de disposition à apprendre : apprendre des autres, et surtout, apprendre sur soi. Non seulement s’agit-il de s’intégrer et de tirer profit sur le plan personnel de l’expérience humaine alors vécue, et qui nécessite une certaine prédisposition émotive pour accueillir toutes sortes de réflexions et de sentiments, mais surtout, celle-ci s’impose. Sans ouverture, il n’y a pas de dialogue. Sans dialogue, il n’y a pas d’intégration. Et sans intégration, il n’y a pas de réussite, particulièrement dans le cadre d’un projet comme le nôtre qui nécessitait une compréhension efficace des enjeux locaux, incompréhensibles à des yeux étrangers.

Je ne saurais affirmer que ce que j’écris là est une vérité absolue. Cependant, je crois fermement que la démarche d’immersion favorise l’action. En supprimant les options à notre disposition, on évacue la notion d’échappatoire. Il n’y a alors plus de plans A, B et C, il n’y a qu’un seul plan : réussir. En l’occurrence, être plongé dans un pays inconnu, auprès d’une communauté inconnue parlant une langue inconnue, et qui plus est avec des moyens de communication très limités, tout cela n’offre que très peu d’issues. Il faut adopter une attitude d’ouverture, s’intégrer, et mener à bien le mandat. De toute façon, passer trois mois dans ces conditions sans faire ce travail de disposition à apprendre  ne peut être que douloureux et contre-productif.

Des leçons d’humilité et de dévouement

Cela étant dit et pragmatisme mis à part, d’un point de vue plus personnel, les choses n’en demeurent pas moins complexes. Je pense que tous mes collègues s’accorderont à dire que chacun a eu son lot d’obstacles à surmonter à travers ce processus. Pour certains, il s’agissait de composer avec des problèmes personnels, pour d’autres avec des enjeux de santé. Pour moi, cela aura été de composer avec les deux. Étant quelqu’un qui s’est construit une carapace assez épaisse au fil des années (le tout consolidé d’un orgueil bien résistant), partir sous l’avis contraire des médecins à l’hôpital avec des pierres aux reins, ainsi que d’affronter le décès de mon grand-père durant le dernier mois du stage, et prendre la décision de faire mon deuil seul en Haïti plutôt qu’avec ma famille, auront été des expériences qui forgent le caractère. C’est dans ce type de situation que la démarche de disposition à l’apprentissage, je crois, prend toute son importance.

En baissant ma garde et en accueillant ces situations, je suis revenu à mon moi profond. Il s’est révélé et s’est renforcé. J’ai pu me nourrir de ce nouvel environnement et des gens qui l’animent, un environnement empreint de positif, de force et de résilience. Le fait d’être plongé dans cette expérience avec mes collègues nous aura rapprochés. Cette démarche collective et authentique d’ouverture aura également permis à chacun de tirer le meilleur profit des qualités des uns et des autres. Je transporte désormais avec moi leur écoute, leur empathie et leur respect comme un héritage qui me suivra dans tous mes prochains mandats. Pour cela, je leur en suis reconnaissant.

« You get what you give »

« You get what you give » est une devise que j’aime beaucoup employer et que j’essaye d’incarner depuis plusieurs années déjà. En ce sens, chaque effort investi ou chaque geste authentique qui est posé est ensuite récompensé d’une façon ou d’une autre, à un moment ou un autre. Rassurez-vous, rien de dogmatique là-dedans, et il ne s’agit pas là de poser des gestes intéressés, bien au contraire. Il s’agit plutôt de façonner autour de soi un environnement authentique et représentatif de sa propre personne, d’abord en prêchant par l’exemple. Au fil des dernières années, et depuis que j’ai persévéré dans cette voie, j’ai été béni d’opportunités et d’amitiés sincères. Ce qui fait d’Haïti une expérience unique et invraisemblable, c’est qu’en l’espace de trois mois, j’ai reçu tellement plus que j’aurai pu donner. Je ressors de cette expérience grandi à tous les niveaux. Peut-être est-ce cela « la Perle des Antilles ». Ce cadeau discret, raffiné, précieux, mais brut à la fois.

Remerciements

Pour conclure cet article et ma collaboration avec Le Collectif Monde, j’aimerais avant tout remercier mon ami et rédacteur en chef Dorian Paterne, pour son support sans égal tout au long de cette aventure, sa patience, son ouverture et son dévouement au journal. Merci aussi à toutes les personnes qui se sont impliquées de près ou de loin dans ce projet, mes collègues et amis, au Carrefour de solidarité internationale et à l’École de politique appliquée. Merci tout particulièrement à toutes ces personnes en Haïti, ces rencontres plus marquantes les unes que les autres qui ont rendu ce voyage une partie de plaisir : Mykell, Gregory, Élizabeth, Jocelyn et Madame Fatras.

À Antoine, mon grand-père, qui m’a encouragé, sans relâche, à trouver ma voie.

* Expression haïtienne


Crédit Photo @ Quentin Laborne

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One thought on “N’ap Boule* : en quête de la Perle des Antilles”
  1. Bravo Quentin

    Ta plume a pris en caractère et cela se ressent dans ton article.

    Bravo à ton équipe également, le retour au pays doit être particulier et la vie doit avoir un gout un peu différent maintenant.

    On s’appelle vite pour en parler!

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