Jeu. Juil 25th, 2024

Par Josiane Demers

Plongeur en eau froide, directeur photo, caméraman sous-marin, Mario Cyr a plusieurs cordes à son arc. Ce qui distingue particulièrement le madelinot, c’est sa connaissance de l’Arctique alors qu’il s’y est rendu à 42 reprises. Témoin privilégié de la biodiversité de ce continent, celui qui est surnommé par certains le « Spielberg des profondeurs » a accepté de discuter de son travail ainsi que des conséquences des changements climatiques avec l’équipe du Collectif.

C’est à l’âge de 10 ans que les parents de Mario Cyr lui offrent en cadeaux des palmes, un masque et un tuba. C’est en observant les homards, les crabes ou encore les plies qu’il développe une réelle passion pour les fonds marins. À 16 ans, il s’inscrit à son premier cours de plongée et devient, à l’âge de 19 ans, plongeur commercial où il construit des ponts et des quais et entretient les bateaux. En 1984, il commence à capter des images sous l’eau. Grâce à toute cette expérience, son corps s’acclimate à l’eau froide, ce qui lui permet de plonger de plus en plus longtemps.

De fil en aiguille, son nom circule et en 1991, il est approché par le National Geographic. Il devient, la même année, la première personne à filmer des morses sous l’eau et fait partie de la première équipe à filmer des ours polaires sans cage.

Crédit photo @ Pierredunnigan.com

Observer pour gérer le risque

De toute évidence, ce métier comporte des risques importants. Monsieur Cyr explique que c’est à force d’observer les caractéristiques et les personnalités des animaux qu’il développe, au fil du temps, des astuces pour les approcher. Il faut comprendre leurs limites. La clé est de toujours avoir une porte de sortie.

« À force de plonger et d’observer, on découvre plusieurs choses. Par exemple, les ours polaires ont le même problème que les humains avec leurs oreilles lorsqu’ils sont dans l’eau. À trois ou quatre mètres de profondeur, la pression affecte leurs tympans, ce qui les fait remonter. C’est pourquoi on sait maintenant que notre porte de sortie est de nous diriger vers le fond. L’ours va remontrer à cause de sa douleur aux oreilles. » —Mario Cyr

De plus, le plongeur explique que lorsqu’il voyage en Arctique, il a le privilège de travailler avec des Inuits qui sont des maîtres chasseurs. Il apprend énormément d’eux. En les accompagnant à la chasse, il constate que l’approche vers l’animal est similaire à celle qu’il doit adopter dans son métier et se nourrit de leur expérience et de leurs méthodes.

Les Inuits : des partenaires inestimables

Crédit photo @ Mario Cyr

Mario Cyr voue un respect particulier aux Inuits qui l’accompagnent dans ses périples. « Le peuple inuit fait partie du succès de ma vie de caméraman sous-marin. Sans eux, je n’aurais pas fait la moitié de ce que j’ai fait. C’est un peuple extraordinaire qui a vécu et survécu à des froids extrêmes et à de la misère et qui a su s’adapter. Je ne pourrais pas concevoir aujourd’hui d’aller dans l’Arctique sans mes guides inuits », soutient-il. Il explique également que la relation qu’il a développée avec eux est précieuse et s’étend maintenant sur plusieurs générations alors que ses guides d’aujourd’hui sont les fils de ses guides des années 1990. Il les a vus grandir au fil de ses visites.

Il continue en apportant des précisions sur la façon dont le vocabulaire inuit a été développé en mentionnant qu’ils ont dix termes pour désigner la neige. Leur langage est le miroir de leur proximité avec la nature et nous avons beaucoup à apprendre de cela selon le photographe.

La biodiversité en péril

L’Arctique est l’endroit sur la planète qui se réchauffe le plus rapidement dans le monde. Depuis que les humains prennent des données en notes, les températures n’ont jamais été aussi chaudes. Par exemple, le 20 juin 2020, le mercure s’élevait à 21 degrés Celsius, soit 22 degrés au-dessus de la moyenne saisonnière. Il ne faut pas oublier que c’est aussi l’endroit où il y a le plus de biodiversité.

Toute la chaîne alimentaire se retrouve sous cette glace. Le phytoplancton attire du plancton qui lui attire des petits poissons. Les gros poissons les mangent et sont ensuite engloutis par les phoques qui à leur tour sont la proie des ours polaires. Ça va ensuite jusqu’aux super prédateurs comme les orques. Tout ça, c’est en train de se modifier. Si on prend la baie d’Hudson, au sud de l’Arctique, il y a actuellement 82 % moins de glace l’été qu’il y en avait dans les années 1992-1993.

« À cette époque, les ours polaires attrapaient 40 ou 50 phoques par année donc on n’entendait pas parler des difficultés de l’espèce. Aujourd’hui, à cause de cette fonte des glaces, les ours polaires sont obligés de passer 2 mois de plus sur la terre ferme alors qu’ils attrapent leur nourriture sur la banquise, c’est deux mois de plus à ne pas manger pour certains » – Mario Cyr

Pendant cette période, les ours « chanceux » trouvent des carcasses de béluga, de caribou ou de phoque, ce qui leur permet de survivre, sinon ils risquent de mourir de faim. C’est pourquoi il n’est pas rare d’en apercevoir plusieurs qui sont chétifs et ont la peau sur les os, chose peu commune jadis.

Mario Cyr explique également l’importance de la lisière de glace, c’est-à-dire l’endroit où la glace arrête et l’eau commence. « Toute la vie marine est sous ou sur cette glace. C’est là qu’on voit cette vie immense et si l’on va dans la mer et qu’on avance d’une centaine de mètres, il n’y a presque plus rien. Donc plus la glace disparaît, plus il y a des changements majeurs dans la biodiversité », énonce-t-il.

Dérégler la terre

Le plongeur en eau froide continue en énonçant que ce qui se passe au Nord est très important et exerce une influence directe sur la situation climatique actuelle. « L’Arctique et l’Antarctique régularisent le climat sur terre et nous sommes en train de dérégler cela », soutient-il.

Par exemple, quand on parle du jet stream ou du courant-jet, c’est plutôt inquiétant. Avant, le courant tournait d’est vers l’ouest sur ces continents sans onduler et gardait le froid en haut et la chaleur en bas. « Par exemple, aujourd’hui le réchauffement dans l’Arctique diminue la vitesse de ce courant et ça fait des ondulations de haut en bas. C’est pour ça qu’on a des froids glacials au Québec », élabore monsieur Cyr. C’est essentiellement ce courant qui se rend à nous à cause des ondulations. Selon le plongeur, il est maintenant trop tard pour revenir en arrière vu l’état des choses.

Crédit photo @ Mario Cyr

Un autre élément à considérer, c’est que les humains sont en train de ralentir ce qu’on appelle le gulf stream qui régularise la chaleur. Avec la montée de l’eau douce, ce courant ralentit et sa direction change. Cela explique que certains endroits refroidissent et que d’autres se réchauffent considérablement. C’est pourquoi il faut parler de changements climatiques et non de réchauffement climatique.

 « Beaucoup d’éléments dépendent de la température de l’eau. Un dixième de degré Celsius peut faire dévier des bancs de poissons. Présentement on est en train d’augmenter la température de l’eau assez drastiquement, ce qui fait que les grandes routes migratoires changent et on retrouve des espèces comme des requins à des endroits où on n’en trouvait pas avant. » – Mario Cyr

Tous ces changements conduisent à des compétitions intraspécifiques et interspécifiques, soit entre les animaux d’une même espèce ou alors entre les différentes espèces. À cause de tous ces changements, plusieurs espèces qui ne se croisaient pas nécessairement avant vont se battre pour la même nourriture. Ce sont évidemment les plus rapides et les mieux organisées qui vont survivre et c’est pour cela que certaines seront appelées à disparaître. Certaines vont aussi proliférer comme les méduses qui se multiplient, car ses trois prédateurs (thon rouge, tortue luth et requin-baleine) se font de plus en plus rares.

À travers ses expériences, Mario Cyr est en mesure de tracer un portrait juste de la situation environnementale en Arctique et vulgarise habilement les conséquences que cela peut avoir sur l’ensemble de la planète. Sans être moralisateur, il peut nous permettre de réaliser l’ampleur des dégâts que causent les changements climatiques. Selon lui, il est déjà trop tard pour stopper l’engrenage, mais encore assez tôt pour le ralentir.

Pour assister aux conférences de Mario Cyr, visitez son site web et pour vivre l’expérience immersive Sous les glaces en collaboration avec le cirque Éloize, cliquez ici.

Crédit photo @ Mario Cyr

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