Jeu. Avr 25th, 2024

Par Estelle Lamotte

À l’aube de plusieurs élections, la question relative aux stratégies d’influence est plus que jamais d’actualité. Bien que d’apparence implicite au travers de l’usage du soft power, les méthodes de persuasion n’en sont pas pour autant moins conséquentes. Le milieu universitaire n’y échappe pas.

Parce qu’il est fondamental, en tant que citoyen averti, d’être conscient des différents biais de l’enseignement et de la portée politique de l’éducation, Le Collectif souhaite mettre en lumière quelques exemples des différentes formes de dominations traversant le domaine de l’enseignement.

Les biais de l’enseignement universitaire

« Dans mes recherches, j’ai analysé 50 plans de cours d’Introduction aux relations internationales donnés lors des cinq dernières années dans des Universités nord-américaines, et ce que j’y ai trouvé dénote des biais importants quant à la passation du savoir. Seulement quatre plans de cours (8 %) faisaient allusion aux colonisations, aux décolonisations ou à l’esclavage, alors que 23 (46 %) mentionnaient les guerres mondiales et 27 (54 %), l’épisode de la Guerre froide » déclare Maika Sondarjee, professeure de l’Université de Toronto, dans l’édition d’automne 2021 de la revue Lettres québécoises.

La question de l’ethnocentrisme, relative aux contenus de cours enseignés, se positionne au cœur des débats depuis l’émergence des post colonial studies, apparues principalement après les années 2000. Ce phénomène, participant de fait à l’invisibilisation des territoires autrefois dominés, revêt une domination aujourd’hui tournée vers une violence davantage silencieuse, mais dont les conséquences demeurent tout aussi prégnantes.

Les universités publiques sous contrôle

La question de l’influence chinoise dans les universités, bien que tacite, révèle la campagne d’ingérence étrangère menée par la République Populaire de Chine (RPC). À l’aune de ses interventions et pressions politiques réalisées sur les campus du pays — et ce, avec la présence des Instituts Confucius — le pays asiatique semble vouloir agrandir les horizons d’une stratégie visant l’intégralité du réseau éducatif.

Tout d’abord, la Chine, par le biais de l’Institut Hanban, finance d’une part les Instituts Confucius. Par l’exercice d’un contrôle sur le contenu intégral des cours qui y sont dispensés, elle exerce notamment sa domination sur le curriculum. À titre illustratif, les cours sont tenus de ne pas aborder les questions dites « sensibles », à l’image de l’autonomie du Tibet ou bien de la condition des Ouïgours au Xinjiang, comme le mentionne l’Encyclopédie d’Histoire numérique de l’Europe.

C’est ensuite au sein de l’Université de Toronto, lors des élections pour la présidence de l’association étudiante, qu’est apparue de façon plus nette encore cette volonté exacerbée de la part du gouvernement chinois de maintenir une pression. Le cas de cette étudiante canadienne d’origine tibétaine, Chemi Lhamo, illustre de manière saillante cette violence exercée à l’encontre des personnalités vues comme « dangereuses » à l’égard du régime. Cette jeune femme a été élue dernière à la présidence de l’association étudiante de son université. Cette incompréhension révèle la réalisation d’une campagne agressive menée par des milliers d’étudiants chinois, sur les réseaux sociaux.

Le cas chinois n’est en réalité pas isolé. Alors que les élections hongroises approchent, Viktor Orban, premier ministre de la Hongrie, n’a qu’un unique objectif : demeurer au pouvoir. En plaçant les universités du pays sous la coupe d’organismes en lien étroit avec le pouvoir, ce dernier dépeint le portrait d’une politique de contrôle, inspirée par le modèle chinois. L’objectif? Ancrer l’identité conservatrice du régime sur le long terme, et cela, quelle que soit l’issue de prochaines législatives, à l’instar des stratégies utilisées par Vladamir Poutine. À elle seule, la fondation Mathias Corvinus Collegium, gérée par le Fidesz — parti conservateur hongrois —, dirige désormais l’université d’économie de Budapest, et ce, avec un budget supérieur à celui de l’ensemble supérieur en Hongrie. Miklos Ligeti, membre de l’ONG Transparency International, juge qu« une part importante de la richesse nationale » demeurera « à jamais sous le contrôle de personnes fidèles aux détenteurs actuels du pouvoir », rapporte le journal LaCroix dans un article d’avril dernier.

Le rôle de l’école dans la légitimation de la colonisation française

L’émergence des post colonial studies, à l’aube des années 2000, figure comme un tournant dans la prise en compte progressive du rôle de l’École dans la légitimation du processus colonisateur. Lors de la construction de la Troisième République, faisant suite à la défaite prussienne de 1870, l’École est vue comme le socle vecteur des idéaux républicains. C’est ainsi que l’étude des manuels scolaires prouve la manière dont les avantages liés à la colonisation française sur les territoires sont exacerbés.

Les apports économiques et sociétaux étant mis en valeur, il était alors commun de penser la colonisation comme une vertu à l’égard des peuples colonisés. Ainsi, à l’intérêt économique des différentes nations conquérantes va s’associer l’idée de mission civilisatrice des populations jugées inférieures : les États européens voient la colonisation comme un moyen d’accroître leur puissance. Un instrument de propagande, sans aucun doute. Les valeurs républicaines sur les couvertures de manuel sont la plupart du temps présentées de telle façon à ce que la Marianne soit au centre du document, habillé d’une cape rouge et d’une armure romaine, tenant un rameau d’olivier représentant la paix ainsi qu’une couronne de laurier symbolisant son triomphe.

L’ensemble de ces réalités montrent la volonté prégnante de la part des pouvoirs politiques d’influencer le domaine de l’éducation. Qu’il s’agisse d’une situation d’ingérence dans le cas chinois ou bien d’une politique menée à l’échelle propre d’un état pour la Hongrie, ces exemples contestent les fondements même de l’acte éducatif, et par extension, de l’enseignement.


Crédit photo @ Elastic Computer Farm

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