Sam. Juil 20th, 2024

Par Julia Poulin

Depuis l’intensification de la guerre contre le terrorisme et le déploiement accru de soldats à l’étranger, une campagne massive de séduction est en cours afin de remplir les objectifs de recrutement des Forces armées canadiennes (FAC). Comme plusieurs entreprises, elles sont confrontées à de nombreux départs à la retraite, ce qui rend encore plus difficile le maintien des effectifs. Ainsi, en 2008, le gouvernement canadien visait une force de 70 000 militaires réguliers et de 30 000 réservistes, alors qu’aujourd’hui, on compte encore seulement 63 000 réguliers et 24 000 réservistes. Ceci, combiné à la diminution du taux de recrutement qui est passé de 7500 recrues à environ 4300 en cinq ans, amène des efforts soutenus au sein des FAC afin de courtiser la relève.

Le recrutement commence aujourd’hui de plus en plus jeune, parfois même dès la sortie de l’école primaire grâce à la malléabilité des valeurs à cet âge. Les programmes de formation pour les futurs soldats sont également très attrayants. Avec des publicités dignes de productions hollywoodiennes, le département de la Défense canadienne paraît souvent très reluisant chez les jeunes hommes et femmes en quête identitaire. Sous le couvert de la camaraderie, de la bravoure et de la soif d’aventure, on appelle les jeunes qui veulent œuvrer pour la paix et leur propose une carrière à l’image de leur génération : progression rapide, horaires plus flexibles, autonomie et variété.

Les perspectives de carrière proposées par les Forces armées canadiennes sont aussi intéressantes pour les familles plus démunies. En effet, les avantages financiers de l’enrôlement sont nombreux : paiement des frais de scolarité au niveau universitaire et collégial, matériel et livres scolaires, versement d’un salaire et d’avantages sociaux à la recrue, etc. Bref, une proposition populaire chez les jeunes découragés par le parcours scolaire traditionnel, tout comme chez certains parents qui ne pourraient offrir à leurs enfants l’opportunité des études supérieures, faute de moyens.

Pourtant, nous sommes forcés de constater que l’enrôlement des jeunes n’est pas aussi gai que ce qui nous est dépeint. Bien au contraire, peu de lumière est jetée sur le réel mandat des militaires et l’herméneutique troublante de cette institution qui appelle à la vigilance. Cette porte de sortie chez le jeune en quête personnelle est banalisée et on ferme bien souvent les yeux sur la violence psychologique et physique qui sévit dans l’armée et sur ses conséquences.

À plusieurs égards, on peut distinguer certaines caractéristiques communes à l’armée et au mouvement sectaire. Tout comme la religion, l’armée peut permettre de transformer l’angoisse de la recrue face au caractère irrésolu de sa vie; le soldat n’a plus d’inquiétudes à avoir pour son avenir s’il suit cette formation. Toutefois, d’un point de vue psychologique, le prix à acquitter est parfois énorme. L’objectif est de démolir le citoyen pour reconstruire le soldat. Comme dans une secte, l’individu qui s’enrôle voit sa vie régie dans ses moindres détails par un leader, le caporal-chef, dont l’autorité incontestée s’appuie sur un système fortement hiérarchisé. À coup de privation de sommeil et de nourriture, d’insultes répétées, d’épreuves physiques, l’adepte devient prêt à obéir à tous les commandements. Vulnérable et coupée de tout contact avec sa famille, la recrue est brutalisée psychologiquement et devient alerte et anxieuse face aux détails insignifiants tels que le rasage scrupuleux de la barbe, la mémorisation des grades de ses supérieurs, les punitions en cas d’irrespect et la perfection de l’uniforme qu’il arbore. Chose peu médiatisée, l’acharnement psychologique que subissent ces jeunes mène parfois à des tentatives de suicide et des séjours fréquents à la clinique de la base militaire. Même à bout de souffle, un jeune qui veut quitter l’institution n’a pas fini son cauchemar puisque la demande de libération volontaire est un processus compliqué qui prend plusieurs semaines pour des raisons administratives obscures…

Certains trouveront naturel de faire vivre aux recrues une formation déshumanisée, car au fond, n’est-ce pas ce à quoi ils ont dévolu leur carrière, composer avec la terreur et la violence présente sur le terrain? Qu’à cela ne tienne, il est de mon avis que le caractère uniformisant et la rigidité des FAC mènent plus souvent à des abus psychologiques et physiques qu’à l’éducation d’hommes équilibrés au service du pays.

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