Par Benjamin Le Bonniec
Dans son dernier numéro, l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo consacrait sa une aux attentats du 22 mars ayant touché Bruxelles. Fidèle à sa réputation et grand défenseur de la liberté d’expression depuis plus de 30 ans, le journal a fait le choix d’un dessin à l’humour quelque peu douteux qui n’a pas manqué de faire réagir le public belge et de susciter le débat. Cette nouvelle controverse rouvre le sujet sensible de la frontière existant entre l’humour et la liberté d’expression posant une nouvelle fois la question : peut-on rire de tout?
On peut comprendre la réaction immédiate des Belges et des internautes quant à l’émoi que suscite la représentation de l’idole de tout un pays en la personne du chanteur Stromae en première page de l’incontournable Charlie Hebdo. Celui-ci est tourné à la dérision demandant au public « Papa où t’es? », texte issu de son plus grand succès populaire, et obtenant les réponses de fragments corporels par des « ici » et « là », tout ça sur fond de drapeau belge. En référence aux victimes des attentats, on peut néanmoins s’offusquer de l’irrévérence déplacée dont fait une nouvelle fois preuve la piquante gazette française.
Bien sûr, vous allez me dire « Charlie fait du Charlie » et ne fait qu’alimenter un peu plus sa légende. À quoi bon alors se froisser quand on connait le passif du journal qui n’a jamais eu sa langue dans sa poche ou plutôt le crayon mal taillé. Rappelez-vous les caricatures de Mahomet en 2006 et ses dessins récurrents à la limite du respectable pour dénoncer le terrorisme dans une noble cause pour la liberté d’expression. Évidemment, il nous apparait logique de nous offusquer quand on pense aux victimes de ces malheureux attentats et à leurs familles.
On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde
Dans une société occidentale désarçonnée par la menace terrorisme, encore plus dans une Europe en guerre, l’humour a sa place pour traiter des sujets sensibles. Mais, si à bien des égards on peut rire de tout dans la limite de l’acceptable, à quel niveau se situe ce seuil du recevable? Le cas de cette une, malgré la pertinence de la réponse belge, ramène dans le débat public cette fameuse question existentielle, voire philosophique : peut-on rire de tout? Alors oui, nous pouvons rire de tout. Faire preuve d’audace et de culot reste une arme comme une autre face à l’oppresseur, mais l’humour sert surtout à rendre les gens heureux, à les éloigner quelque peu de quotidiens parfois sombres et douloureux.
Reste qu’on ne peut pas rire de tout avec tout le monde ou alors il faut y aller avec manière, sans artifices, mais avec style et goût. Cette nouvelle affaire Charlie Hebdo montre encore le manque de tact dont peut faire preuve l’hebdomadaire quand bien même cet humour se met au service d’une cause aussi légitime que la sienne. Heureusement, les Belges sont réputés pour leur humour farfelu et jobard; on les remercie d’ailleurs pour ça. Mais à l’heure d’une période funèbre pour la Belgique qui panse à peine ses blessures, peut-être aurait-il fallu y aller avec plus de légèreté et de patience!
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