Par Andrée-Anne Roy
Cette semaine-là, j’ai frappé un mur. Je me suis sentie perdue. J’avais toujours accès à une map sur mon téléphone, je n’étais pas sans repères, mais j’étais toutefois en perte totale de contrôle et de stabilité. À ce moment-là, je me suis souvenue avoir attendu ma lettre d’admission à l’université. Chaque jour, regarder dans la boite à mail devant la maison – à l’époque ou Poste Canada ne nous avait pas dépourvus de cette belle décoration – espérant une belle lettre à mon nom, un bout de papier qui aura le poids d’une des plus grandes décisions de ma vie.
Cette semaine-là, j’ai fait ma dernière séance d’étude à la Brûlerie, endroit qui était devenu mon deuxième chez-moi, j’ai fait mon dernier examen et peut-être, surement même, ma dernière session universitaire. C’est en faisant un aller-retour Sherbrooke-Montréal en plein nombril de semaine en faisant une pause d’étude que ça m’a frappée : dans deux jours, j’allais être bachelière. À défaut d’avoir déjà accroché mes patins, je pourrai maintenant ranger mes crayons et mes cahiers Canada et changer de parcours. C’est difficile à concevoir sur le coup. Toutes ces nuits blanches, ces travaux d’équipe sans fin et ces efforts auront enfin porté leurs fruits, mais pour quoi exactement? Est-ce que je peux assurer savoir ce que me propose l’avenir dans quelques semaines ou mois? Oh non. Et j’en suis plutôt heureuse, quoique effrayée. Je me sens comme un des lost boys de la chanson de Ruth B, perdue, mais libre. La liberté, c’est un terme assez flou pour moi parce qu’on demeure toujours libres de nos choix, de nos pensées, de nos opinions, mais nous sommes également libres de nous laisser influencer ou inspirer par ceux que l’on admire. La liberté, elle flotte dans nos décisions quotidiennes, mais beaucoup nous est également attribué dans nos parcours universitaires. D’après moi, on choisit toutefois comment on décide de vivre ce paradoxe de liberté et de contraintes. Les années passées à l’université se comptent souvent sur les doigts d’une main et notre investissement y est tel qu’elles s’éclipsent. Profitez des bonnes expériences et oubliez celles que vous ne croyez pas raconter lorsque vous commencerez à radoter en ne jurant que du bon vieux temps.
Cette semaine-là, une de nos enseignantes nous a rappelé face à une classe de finissants : « N’oubliez pas la raison pour laquelle vous avez choisi d’étudier au niveau supérieur; pour avoir une meilleure vie. »
Cette semaine-là, je me suis questionnée : « Est-ce que j’ai assez profiter? », « Est-ce que j’aurais pu faire mieux? » En prenant du recul, je me suis dit que la seule réponse que j’avais besoin d’accepter c’est que j’en avais fait assez. Je me suis assez impliquée, je me suis assez acharnée à mes travaux, je me suis assez dévouée et j’en ai aussi assez. Je considère que les études c’est épuisant et c’est en terminant que je me rends compte du stress qui devait être évacué, du sommeil que je n’aurais pas dû négliger.
Cette semaine-là, une de nos enseignantes nous a rappelé face à une classe de finissants : « N’oubliez pas la raison pour laquelle vous avez choisi d’étudier au niveau supérieur; pour avoir une meilleure vie. » Et aussi simple qu’ait pu nous sembler cette réplique, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire et de me dire qu’elle avait tellement raison. C’est bien beau avoir une job de rêve, mais si nous ne sommes pas heureux, à quoi bon?
Je prends donc le temps de renouveler avec moi-même, de décanter un peu avant de me lancer dans de nouvelles aventures. Je dois avouer que de me faire demander « As-tu trouvé une job? » de tous bords tous côtés devient une source de stress malgré ma décision d’attendre. À défaut de pouvoir anticiper la rentrée, j’avance peu à peu vers le milieu du travail, celui qu’on redoute dès qu’on commence à faire la distinction entre astronaute et médecin en sachant qu’un jour, quand on sera vieux, il nous faudra en choisir qu’un. C’est en disant adieu aux 5@8 que j’accueillerai les 9 à 5. Si j’imagine mal être sur le marché du travail pour les prochains 43 ans de ma vie, je garde toujours mon téléphone à proximité pour être certaine de ne pas manquer l’appel qui à son tour aura le poids d’une des plus grandes décisions de ma vie.
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