Notre société est plongée dans un monde d’illégalités. Que ce soit dans les films, les chansons ou le mode de vie des artistes influents, nous apprenons très jeunes qu’« adrénaline » est un mot (et concept) qui va de pair avec « illégalité ».
Par Marie-Claude Barrette
« Sex, drugs and rock’n’roll » — Ian Dury
Notre génération, et la société par le fait même, est plongée dans un monde où l’illégalité est facilement banalisée. À défaut de ressentir de la frustration et du mépris pour les actes contraires à la justice, nous les percevons comme des comportements « communs ». Pris dans son sens large, le terme « illégalité » englobe aussi les actes irrespectueux, les abus, les comportements non éthiques et toutes autres conduites qui impliquent des valeurs contraires à l’équité sociale. On comprend que certains actes sont plus problématiques que d’autres. Dans tous les cas, cette notion ne s’arrête pas à ce qu’on peut retrouver dans une loi ou un règlement.
Notre perception à l’égard de l’illégalité découle du fait que nous y sommes confrontés tous les jours. Rare est une journée où nous n’avons pas connaissance de la commission d’un acte interdit. Par quoi notre société est-elle corrompue?
Pensons au box-office cinématographique. Un film devient un bon vendeur lorsqu’il implique crimes et illégalités. Bien que les comédies romantiques et les drames soient très populaires, leur succès dépend d’un public cible. En revanche, les films qui impliquent des comportements illicites rejoignent tous et toutes, indépendamment du sexe et de l’âge. Impossible de ne pas être diverti. Une logique similaire s’applique aux téléséries.
Bien que la situation diffère quant à la raison des bons succès musicaux, nous sommes forcés de constater que les thèmes qui entourent les substances et actes illicites sont également récurrents dans les chansons, et ce, indépendamment du genre musical. Les sujets touchant l’une ou l’autre des facettes de l’illégalité sont utilisés à outrance par les chanteurs et répétés sans véritable considération par tous et toutes. Pensons aux nombreux succès du rappeur Eminem qui ont fait grincer les dents de plusieurs… souvenez-vous de sa chanson controversée Kim où il joue le personnage d’un homme tuant sa femme. Les paroles sont crues, la violence est imagée et les mots sont violents. Si le message se veut choquant pour faire réagir et réfléchir, très peu de personnes seront heureuses d’entendre un jeune adulte fredonnant « Now bleed, bit**, bleed ! ». Et pourtant, combien d’entre nous ont chanté à tue-tête des paroles choquantes?
« Illégal, tu m’fais faire des bêtises » — Marjo
Par ses médias et par son utilisation de la violence comme source de divertissement, la société concède un caractère légitime à l’illégalité. Les actes contraires à la loi sont reçus passivement et oubliés tout aussi rapidement. Nous les retrouvons particulièrement à la télévision et dans les jeux vidéo : ces deux sources de divertissement qui nous poussent à confondre le fictif et le réel. Dans un billet publié par l’Association québécoise des psychologues scolaires, les chiffres présentés concernant la violence télévisuelle portent à réfléchir. Si nous savons que les jeunes sont exposés très tôt à la violence, il est choquant de découvrir qu’ils auront vu au-deçà de 8 000 meurtres au moment de leur entrée scolaire soit vers l’âge de six ans. C’est plus de trois par jour. Difficile de ne pas affirmer que la violence fait partie intégrante du quotidien. Manger serait aussi fréquent et banal que voir un acte criminel. Troublant pensez-vous? Inquiétant.
Après avoir sondé plusieurs parents, ceux-ci ont tous affirmé que leurs enfants connaissaient la différence entre la fiction et la réalité. Pourtant, les études sont quasi unanimes : la corrélation entre les comportements agressifs d’un adulte et le temps que ce dernier a passé, enfant, devant la télévision (émissions ou jeux) est significative. Sans être la seule raison, il s’inscrit dans la liste des facteurs qui influencent leurs comportements à moyen terme. Les enfants tendent à imiter ce qu’ils perçoivent indépendamment des conséquences réelles. La raison est simple : la fiction prend des proportions de plus en plus réalistes et il devient difficile pour un enfant de cerner la nuance entre les deux. Les graphismes des jeux vidéo et les synopsis de films présentent un degré de réalisme nettement supérieur à ce que nous pouvions retrouver à l’époque des baby-boomers. Aujourd’hui, les adultes et les enfants se divertissement en jouant aux mêmes jeux vidéo. Si plusieurs sont destinés à un public mature, nous constatons que les adolescents les adoptent malgré la restriction quant à l’âge puisqu’aucun contrôle n’est fait à l’achat.
Prenons par exemple deux jeux très populaires, toutes catégories d’âge confondues : Grand Thieft Auto et Call of Duty. Les deux impliquent de la violence, mais à un degré nettement différent. Dans le premier, toutes les missions tournent autour de vols, de commission d’actes illégaux, d’assassinats et autres. Faire exploser une tête sous les pneus d’une voiture volée, tuer un innocent à bout portant et provoquer des fusillades deviennent des missions possibles et divertissantes. Le thème de la violence est prédominant et la polémique qui tourne autour du jeu depuis sa première sortie en 1997 ne cessera pas. Si Call of Duty nécessite le port d’armes et de nombreuses attaques sanglantes, les joueurs qui incarnent des soldats lors de la Seconde Guerre mondiale (et autres conflits) ont des missions auxquelles nous pouvons trouver un fondement plus légitime. Pourtant, la série est également pointée du doigt puisqu’elle inciterait à l’agressivité. Dans les deux jeux, la violence est une finalité légitime.
Quelle que soit la prévention faite auprès de nos enfants, le thème de l’illégalité se retrouve si aisément dans nos vies que nous ne pouvons faire autrement que de le banaliser. Au bout du compte, les concepteurs et producteurs ne sont pas à blâmer; les parents non plus. Pourquoi? Parce que le monde virtuel présenté dans nos écrans est le portrait d’une société de plus en plus violente. Le véritable problème, c’est nous tous.