J’entends des voix

La routine embarque à mesure que les dernières odeurs de la période estivale s’évanouissent. Mais la vie, c’est maintenant. Pas question d’attendre à l’été prochain pour avoir du fun.

Par Julien Beaulieu

Novembre n’en peut plus. Novembre est tanné d’attendre. Cela fait onze mois qu’il patiente gentiment, sans rien dire. Onze mois qu’il regarde les feuilles des arbres sans pouvoir s’en emparer. Onze mois qu’il supporte le ciel bleu sans le masquer de ses nuages pleins de pluie froide. Alors Novembre pousse Octobre. Il le fait trébucher pour lui prendre sa place. Puis, Novembre s’installe, et il impose ses nuits courtes et son soleil invisible. Et on s’entend déjà crier, comme les Colocs : « Dehors novembre! ».

Or, Novembre est là pour rester, et les Colocs n’y pourront pas grand-chose. C’est bien silencieux. Les semaines passées, au moins, j’entendais des voix. Rassurez-vous : c’était la faute du Festival Les Jours sont contés. Du 16 au 26 octobre, plus d’une vingtaine de conteurs et conteuses s’y sont relayés pour faire vibrer l’Estrie au son de leurs voix. Gigantesques, ils expiraient en péripéties, comme condamnés à conter à perpète. Ils étaient là, à la Maison des arts de la parole de la rue Wellington. La plupart du temps, ils y étaient avec leurs histoires légendaires de gens et d’ères antérieurs. Il étaients là, à remonter le fil poreux du temporel, pour lui ou pour elle, devant un public comblé. Le festival du conte est maintenant terminé, mais après 22 éditions, il est là pour rester.

Pour aller dehors, il faut commencer par ouvrir la porte

Que fait-on, alors, dans le silence de Novembre? Ouvre-t-on la télévision? Non, car on est étudiant. On a délaissé la télévision depuis le départ de la maison familiale pour la vie en appartement. Le câble, c’est trop cher, et une télé, ça prend trop de place. Surtout qu’avec un ordinateur, on peut déjà tout faire. L’ensemble y est : il suffit de choisir ce qui nous plait. À nous, la vérité sans filtre : même pas besoin d’arrêter de fumer. Et sans neige sur l’écran les jours de tempête.

Le mois passé, Le Collectif notait l’influence de la « Télévision, radio, et particulièrement [de] la presse écrite » sur notre culture et notre façon de penser (« Une population façonnée par les médias », 8 Octobre 2014). Sur le web, au moins, on a un certain contrôle sur l’information qui nous parvient. Toutefois, il ne faut pas négliger l’effet négatif de ce pouvoir de contrôle : il nous permet d’aller vers la facilité, le connu, voire même la section « sac de chips » du Journal de Montréal. Le contenu des « anciens » médias n’est peut-être pas une représentation exacte de la réalité. Mais les vidéos de chatons non plus. Internet ne nous expose jamais à ce qui, à première vue, ne nous intéresse pas. Avec d’habiles techniques de surf sur le web, je peux éviter toutes les vagues qui ne me plaisent pas. C’est la recherche virtuelle d’informations réelles. C’est la culture Tinder, où on garde seulement ce qui est beau, mais inoffensif.

Que faire quand la poignée nous reste dans les mains?

Il n’est plus important d’être propriétaire d’un bien : on veut plutôt vivre l’expérience et participer à l’événement qui s’y rattache. C’est d’ailleurs ce sur quoi table le Marketing Expérientiel. Le nouveau millénaire est marqué par la dominance des entreprises de service, et cela affecte directement notre façon de consommer des produits culturels. Netflix nous permet de visionner des films sans avoir à nous les procurer sur un support matériel. Rdio et Songza nous offrent des heures de musique sans qu’on ait à faire le moindre téléchargement. Ce n’est pas simplement une question de prix. C’est une façon complètement nouvelle de vivre et de consommer.

Il y a dix ans, l’auteur français Jacques Attali prévoyait, dans son livre L’homme nomade (2003, édité chez Fayard), que les êtres humains du futur allaient redevenir nomades et se déplacer de ville en ville, d’un voyage à un autre. L’Homme occidental reste résolument sédentaire pour le moment. Cependant, ses idées et son travail sont maintenant nomades et se déplacent tout autour du globe. On n’arrête pas le changement, même quand il va trop vite. C’est lui qui nous arrête.

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