Vous êtes nombreux à m’écrire (on va dire) sur votre insensibilité envers la culture québécoise, pour laquelle vous n’avez pas développé de sentiment d’appartenance outre mesure.
Ne me prenez pas au mot : vous êtes bel et bien Québécois. Vous jurez de consommer votre part hebdomadaire de produits culturels locaux. Vous irez voir «Mommy» cette semaine, d’ailleurs. Vous avez applaudi la razzia de «Série noire» aux Gémeaux, et vous attendez avec impatience le retour de Chartier et de Berrof à «19-2» cet hiver. Vous avez usé à la corde vos disques des «Soeurs Boulay» et de «Louis-Jean Cormier» dans vos incalculables voyages entre Montréal et Sherbrooke.
Très bien.
Parlons maintenant des gâteries. Puisqu’on s’est félicités de manger nos 5 portions de fruits et légumes par jour (et de très bonnes), on peut maintenant baisser la garde et parler de nos excès.
Pour quelles séries avez-vous craqué sur «Netflix» cette année? Quel est votre record de visionnement d’épisodes consécutifs de «Suits»? Et «Walking dead»? Et «Breaking bad»? Quelle technique de séduction brevetée par Barney Stinson avez-vous essayée au dernier 5 à 8? Avez-vous changé votre marque de whisky préférée? Merci à «Don Draper» et «Mad men», les ventes de «Canadian Club» ont monté en flèche!
Vous êtes des carnivores de séries télé? Vous raffolez de musique indie? Vous achetez vos romans ou vos vêtements sur internet? Félicitations, vous êtes en plein dans la norme des 18-25 ans.
Où est le problème?
Vous vivez complètement en marge des médias traditionnels. Vous profitez des plateformes des nouvelles technologies pour vous extirper de soirées à n’avoir que «Les poupées russes» ou «Yamaska» à vous mettre sous la dent, signe impérial du joug des baby-boomers sur l’offre du produit culturel. Vous branchez votre iPod au plus vite dans le système audio de la voiture pour éviter la musique (et la publicité!) qui ne vous dit pas grand-chose non plus.
Vos listes de lecture de groupes australiens, anglais, californiens et québécois (qui peineront malheureusement à éclipser «Pitbull» et «Ke$ha» à la radio) ont des milliers d’auditeurs sur «8tracks» ou «Soundcloud». Pourtant, vos goûts ne sont pas partagés par la «majorité silencieuse». Et pour une fois, vous vous en foutez complètement, car vous pouvez utiliser vos propres canaux médiatiques pour consommer ce qui vous plaît.
Voilà une bien bonne chose, à condition de ne pas laisser nos médias traditionnels à la désuétude.
Le fait est que les médias québécois vivent dans le déni d’une dématérialisation future. Ils sont obnubilés par l’auditoire conquis que leur offrent les baby-boomers, sans trop penser à ce qui les attend au détour.
Le vide culturel se remplira naturellement de lui-même lorsque l’époque des boomers sera derrière nous. Mais les réflexes de consommation des prochaines générations seront changés, et, trop peu trop tard, ils fuiront les médias vieux jeu qui essayeront de leur faire acheter une culture encore trop formatée.
Comment conquérir cette nouvelle génération de consommateurs culturels?
Mauvaise question.
Comment plutôt se laisser conquérir par cette nouvelle génération de consommateurs culturels?
Commencez par ne pas vous convaincre que le pâté chinois est le plat préféré des Québécois.
Donnez du goût à vos recettes, et on s’occupera de tout cuisiner.