Par Félix Morin
Comme tout «critique», Noël et la fin de l’année sont synonymes de bilan de l’année. Or, je dois avouer que j’ai lu beaucoup de choses, mais que peu de ces livres m’ont marqué profondément. En fait, cette année, pour divers projets, j’ai dû replonger dans l’œuvre de grands auteurs et je crois que le plus grand cadeau que je peux vous souhaiter cette année et de troquer l’actualité littéraire pour l’inactualité des problèmes, c’est-à-dire le fait que certains problèmes ou thématiques ne sont pas d’actualité parce qu’ils sont toujours d’actualité. Donc, voici mon top 5 des livres à lire ou relire en 2016.
- La vie devant soi de Romain Gary (Folio)
N’ayant lu que trois livres de cet auteur, je dois dire que je suis très loin d’être spécialiste de son œuvre. Or, cette histoire d’un petit arabe, Momo, vivant chez Madame Rosa, une vieille femme juive, qui aidera cette vieille femme a en finir avec ses jours l’Ordre des médecins ne respectera pas son droit de disposer d’elle-même est criant d’actualité en plus d’être écrit de manière magistrale. Il y a de nombreux moments où l’on rit, on pleure ou on ne sait pas ce qu’il faut choisir entre les deux tant la tragédie est immense. Un grand plaisir de lecture à chaque fois et je souhaite qu’il soit le vôtre aussi.
- Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke (Gallimard)
N’est pas artiste qui veut et, surtout, on ne s’improvise pas poète. C’est ce que Kappus, celui qui a reçu les lettres du grand poète Rilke apprendra. Je pourrais vous citer tout le livre tant les propos sont denses et pertinents au sujet de l’écriture. Il faut aussi saluer la grandeur de Kappus, dont les lettres, elles, ne sont pas présentes parce que, comme il le dit si bien: «Lorsque parle une grande figure originale, les petits doivent se taire». Pour ma part, je ferais lire ce livre à tous les étudiants en secondaire cinq du Québec. On ne peut pas écrire de la même manière à la suite de la lecture de ce livre, ni concevoir le métier de poète comme avant. De plus, cet excellent cadeau de Noël ne coûte pratiquement rien et se lit très facilement!
- La société punitive de Michel Foucault (Seuil)
Alors que tout le monde dit qu’il ne faut pas rentrer dans l’œuvre de Foucault par les Cours au Collège de France de celui-ci, moi je vous dis l’inverse et surtout si vous êtes un lecteur de Marx, d’Hobbes, d’Althusser et de Max Weber. Ce cours est magistral dans son dialogue sur l’implantation du système capitaliste dans la société postféodale. Il rappelle d’ailleurs très justement, selon les mots de Nietzsche, que toutes les sciences de l’Homme sont des «sciences morales». Un grand cours dont je souhaite fortement qu’il trouve plus de lecteurs qu’en ce moment.
- Œuvres d’Albert Camus (Quarto Gallimard)
Un grand personnage que fut Albert Camus dans et pour le XXe siècle. Malheureusement, L’Étranger lui colle à la peau comme une carte postale qui donne le droit aux autres de parler d’un continent qu’ils ne connaissent pas. Or, justement Camus est un continent porté par un élan instinctif qui irrigue son œuvre. Commençant sur le thème de l’amour (L’envers et l’endroit et Noces) Camus découvre l’absurde et le fait que nous devons faire comme on peut dans un monde qui se fiche bien de nous (Mythe de Sisyphe et L’étranger). Pourtant, la révolte prenant appui sur un amour du monde (L’Homme révolté, la peste et les Justes) permet à Camus de revenir à l’amour (Le premier homme). Malheureusement, cet ultime retour sera interrompu par un accident de voiture qui lui coûtera la vie. Ce gros livre nous donne accès à tous les livres de ce grand auteur avec des archives témoignant de la réception des lires (il faut lire la réponse de Camus à la critique de Roland Barthes). Un auteur qui vous permettra d’avoir comme résolution de développer ce que Raphaël Enthoven nomme comme étant la «Sagesse de l’amour».
- Les Essais de Montaigne (en français moderne chez Quarto Gallimard)
Je dois le dire, pour la première fois de ma vie, je vais ici parler d’un livre que je n’ai pas lu au complet. Or, la grosseur de l’œuvre, je l’espère, me fera pardonner. Ce livre, pour les quelques chapitres que j’ai eu la chance, ou le temps, de lire ont été une véritable découverte. Je le savais grand, mais pas à ce point. Il est magistral en tout point. Il vous faut lire «L’art de conférer» et «Que philosopher c’est apprendre à mourir» pour comprendre la sagesse et la qualité d’un tel auteur. Pour ma part, les concepts de «manière» et de «matière» restent des boussoles me guidant dans la difficile tâche de la recherche de la vérité. Si cette recherche, comme moi, vous intéresse plus pour le chemin parcouru que par les «vérités» trouvées, vous venez de vous trouver un ami pour le reste de votre vie. Bonne année et joyeux temps des fêtes à vous chères/chers ami(e)s!
© Mme Rosa, personnage à nul autre pareil du livre «La vie devant soi» de Romain Gary ; image tiré du film de Moshé Mizrahi (1977)