Fin avril, la ministre de la Culture et des Communications Hélène David dévoilait un plan d’action sur le livre. Concrètement, le gouvernement investira 12.7 millions de dollars sur deux ans dont 10.7 millions représenteront des nouveaux investissements. Une telle annonce, sous ses apparences audacieuses, apparaît pourtant inquiétante à certains égards.
Par Benjamin LeBonniec
La raison tient principalement du fait que le projet s’inscrive dans une démarche en faveur de l’économie du « livre » numérique. Douze mesures sont présentées dont une partie est destinée aux libraires afin d’assurer la transition vers le numérique. Par exemple, 1.7 million de dollars seront destinés à conforter la présence de ceux-ci sur les sites de vente en ligne. Aussi, les prêts numériques en bibliothèque sont concernés à hauteur de 3.75 millions de dollars, ceux-ci connaissant d’ailleurs une croissance considérable avec une augmentation de 80 % des nouveaux utilisateurs de ce type de prêt pour l’année 2014.
Évidemment, nous pouvons nous réjouir du fait que les gens continuent de lire, même si ces livres numériques n’ont de « livre » que le nom. Les livres se présentant sous cette forme, nous ne sommes en effet plus face à un support que l’on peut nommer « livre ». À ce sujet, Bill McCoy, directeur général de l’International Digital Publishing Forum (IPDF), préférait le terme de « texte numérique », une dénomination ne créant pas de confusion au sujet du médium que l’on connaît depuis l’invention de l’imprimerie. Parce qu’être amoureux de la lecture, c’est aussi être amoureux de la forme sur laquelle elle s’effectue. Le livre papier contribue ardemment et favorablement à la vitalité de l’écrit et à lui donner la dimension propice à son rayonnement perpétuel. Favoriser la culture numérique pour nos romans et toutes autres œuvres de nature littéraire, c’est placer une épée de Damoclès au-dessus de tout ce monde du livre, de nos librairies indépendantes aux nombreuses maisons d’édition dont regorge le Québec, en passant évidemment pas nos écrivains.
« Être amoureux de la lecture, c’est aussi être amoureux du support sur lequel elle s’effectue. Le livre papier contribue ardemment et favorablement à la vitalité de l’écrit et à lui donner la dimension propice à son rayonnement perpétuel. »
Encore une fois, à qui profite la cause? Le développement du livre numérique, au-delà de l’évolution technologique inhérente à la modernité, constitue à l’heure actuelle l’une des visées principales de ce que l’on appelle l’industrie du livre. Et c’est par l’entremise des géants du milieu, comme ce nouveau Renaud-Bray qui engloutit Archambault ou cette monstrueuse machine qu’est Amazon, que nous vient la menace. Selon les prédictions, près de 70 à 90 % de l’espace librairie aura disparu aux États-Unis dans moins de dix ans (McCoy) et nous en sommes en passe d’être dans de similaires dispositions dans la province. Depuis plusieurs années, les ventes du livre papier décroissent considérablement au profit de leur version numérique, si bien que certains aujourd’hui prédisent la mort du livre. Le plan d’action proposé par Hélène David donne un coup de pouce aux libraires, et même aux éditeurs qui vont bénéficier d’une niche supplémentaire de près de dix millions de dollars.
Pourtant, paradoxalement, le plan d’action favorise l’essor du numérique dont l’apogée sonnerait comme la mort des librairies. Certes, l’annonce a été saluée par l’Association des libraires du Québec qui voit là une aide bienvenue pour les librairies. Mais ont-ils seulement conscience du lent trépas qui les guette et qui toucherait autant le livre lui-même?
La mort promise de l’industrie du livre papier n’aura peut-être jamais lieu, espérons-le. Pourtant il faut aujourd’hui s’inquiéter des directions prises par un milieu d’affaires aux prétentions contestables et pouvant être aveuglantes pour les petits rouages de cette grande machinerie. Et cela même si aujourd’hui on acclame la redistribution des livres d’une cinquantaine d’éditeurs québécois dans les librairies Renaud-Bray. Attention au mirage!