Du 10 au 13 avril, Sherbrooke célébrait cette influence artistique en accueillant la première édition du Festival du Cinéma du Monde. C’est ainsi que l’occasion de voyager d’un continent à l’autre en l’espace de quelques jours nous est offerte.
Emanuelle Boutin Gilbert
Eh oui, pas moins de 42 longs métrages de fiction, de 16 longs métrages documentaires et de 23 courts métrages ont été diffusés soit à la Maison du cinéma, soit à la Salle du Parvis, faisant parvenir la culture d’une trentaine de pays jusqu’à notre Sherbrooke encore frisquet.
La sélection de films était grande, variée, et l’heure des choix difficile. Impossible d’assister à tout ! On se promet, que d’une façon ou d’une autre, on visionnera les autres films.
Transporté au Sénégal : La Pirogue
Dépaysement total. Le premier voyage nous amène en mer, près de l’Afrique. Une trentaine d’hommes, issus de nations et de religions différentes, s’embarquent dans une pirogue en direction de l’Espagne, dans l’espoir de se construire une vie meilleure. L’avenir est si incertain pour la jeunesse de ce pays qu’elle préfère tout risquer au péril de sa vie. Incarnant la liberté, le bateau qui navigue à travers vents et marées s’avère plutôt un enfer. La mort comme la chaleur suffocante et la peur intègrent rapidement le quotidien de ce groupe d’hommes. Bref, comme le dit Moussa Touré, réalisateur, « [l]a pirogue est une métaphore du pays qui part à la dérive, quand il n’y a plus d’horizon »…
Le monde de la femme en Inde
Après avoir navigué dans les eaux de la vie au masculin, le festival nous amène au cœur des paradoxes qui habitent l’esprit des femmes à l’heure où l’Inde vit de profonds changements. The World Before Her nous amène dans un camp d’entrainement et un concours de beauté, deux groupes de femmes que tout sépare aurions-nous envie de croire. Il n’en est rien. Le combat est le même. Comment devenir femme? Comment réussir à s’émanciper? Comment échapper aux dictas patriarcaux tout en préservant sa culture et ses valeurs? Comment vivre en intégrant la modernité aux traditions, le changement aux habitudes?
Le film fut suivi d’une table ronde où quatre spécialistes – Isabelle Bourgeois, Serge Granger, Marie-Pierre Robert et Patrick Schneider — ont été appelés à commenter et à intervenir. Ainsi, le festival ne s’autorise pas seulement d’informer et d’élargir les perspectives; il encourage les échanges, échanges d’idées, d’opinions, d’expériences et de notions académiques. Le FCMS se veut donc une expérience multi facettes, complète et enrichissante.
Sous le soleil
La soirée du samedi se termine avec un long métrage qui s’avère être un régal. Un film émouvant à voir absolument : El Estudiante. Il s’agit du premier film du réalisateur mexicain Roberto Girault. Mettant en scène un homme de 70 ans qui retourne à l’école et un groupe de jeunes avec lesquels il se lie d’amitié, ce film se veut une introspection dans l’univers très personnel des valeurs qui nous habitent. Il nous fait réaliser qu’il est possible que la jeunesse embrasse aujourd’hui les traditions, le respect de l’autre, l’existence, les problèmes de l’autre de façon erronée. Le monde tourne si vite. Le temps est une valeur marchande que nous nous amusons à rentabiliser alors qu’il faudrait peut-être prendre conscience qu’il est d’abord question de moments partagés. Certes, l’effort qu’il faut mettre derrière chacune de ces relations humaines est parfois grand, mais ô combien nécessaire. Ce film nous apprend à vivre et laisser vivre aurait-on envie de dire. Refaites connaissance avec la liberté que vous apporte le partage de ces valeurs qui vous habitent. Larmes en extra.
La liberté que le futur offre
Dimanche, l’après-midi commence avec l’histoire d’une jeune fille : Wadjda. Nous sommes à Riyad, en Arabie Saoudite. Le film commence en force. Il choque. « Ne savez-vous donc pas que vos voix ne doivent pas être entendues par les hommes »? Haifaa Al Mansour nous invite dans une tout autre culture. On essaie de s’y faire, mais comme Occidentaux l’histoire nous rappelle à quel point l’égalité de l’homme et de la femme n’est pas acquise. Le long métrage nous permet de jeter un regard à travers celui de l’enfant sur cette société qui n’est pas la nôtre. Deux histoires en parallèle : l’émancipation de la mère vis-à-vis son mari, l’émancipation de la jeune fille vis-à-vis l’institution académique, symbole de la société, symbole de l’émancipation future de la femme, du changement de sa condition, d’une prise en main collective. En effet, la réalisatrice nous rappelle que « [l]es femmes et les hommes sont dans le même bateau, tous soumis à la pression de la société pour se comporter d’une certaine façon, forcés à agir avec les conséquences du système à chaque décision prise ».
Briser Les Interdits
Une fois de plus, nous sommes dépaysés. Nous nous transportons à Odessa dans la Crimée, en Ukraine. Deux jeunes cousins juifs de vingt ans se lancent dans une aventure risquée, chamboulant leur existence et leur perception de celle-ci. Retour en arrière, l’histoire prend place en 1979. Alors qu’ils font naïvement les touristes le jour, une fois la brunante tombée, ils rencontrent des refuzniks pour leur parler d’Israël et des autres communautés juives puis en profitent pour leur apporter des objets prohibés dans l’Union soviétique. Les Interdits ne se veulent pas que politiques, ils se veulent aussi moraux. Se développe entre les deux personnages, Jérôme et Carole, un lien amoureux qui nous fait naviguer entre la passion et le malaise. Les personnages transgressent ainsi leurs interdits sociaux et personnels au profit de libertés. Au fait, qu’est-ce que la liberté? Le film nous laisse sous une image saisissante : un homme face à la mer. Nous réalisons qu’en fait « la liberté est une notion relative ».
Pour terminer en beauté, le festival se clôture avec La Playa, un film de Juan Andrès Arango qui traite de la situation des Afro-Colombiens en Colombie. Sujet jusqu’alors absent, presque tabou, ce long métrage l’aborde à travers l’histoire de trois frères qui vivent trois réalités différentes. L’un incarne la négation de la réalité dans laquelle il est plongé suite à la guerre, l’autre souhaite s’émanciper en s’expatriant loin de sa famille, de ses racines, alors que le dernier représente l’espoir, la reconstruction d’une histoire.
La fin de semaine a passé si vite. Tant de films en si peu de temps. Nous en redemandons. Nous aurions aimé en voir plus. Plus de culture. Plus d’émotions. Plus d’art. Plus de discussions et d’échanges. Plus de rencontres avec l’autre. Plus de regards. Plus de compréhension ou d’incompréhensions. Le cinéma s’avère un médium incroyable dans le partage des richesses culturelles et sociales. Il nous fait vivre des moments de grande joie, de tristesse et de remise en question. Il nous donne le goût de voyager, de partir à la quête de l’étranger et de ses traditions. Il nous donne envie de partager à notre tour notre culture.