Par Benjamin Le Bonniec
Séduisante et dérangeante, la nudité n’a pas cessé d’être glorifiée depuis l’antiquité. Des éphèbes grecs aux Demoiselles d’Avignon, la représentation du corps a inlassablement nourri les artistes jusqu’à ce qu’il devienne l’un des premiers sujets d’inspiration de l’artiste. Autrefois représenté fidèlement, le corps s’est peu à peu disloqué, déformé jusqu’à être stylisé et même géométrisé. Incarnation esthétique de l’idéal de beauté et de l’harmonie des formes, le corps humain est pourtant entré dans la modernité, bouleversant les codes et ébranlant la représentation picturale et sculpturale.
C’est scandaleusement que le nu réaliste de la Renaissance, comme Manet le représentait dans Olympia, par exemple, est entré dans le XXe siècle. La faute revient à une génération d’artistes aussi doués que révolutionnaires; ces Giacommetti, Bacon, Picasso qui inspirèrent la révolution cubiste et qui remirent en cause les idéaux formatés de la représentation. Laissant de côté la crédibilité et les proportions, le XXe siècle s’est progressivement affranchi de la représentation pour devenir une véritable présence comme avec Klein ou Pollock. Défiguré, hybridé, fragmenté, le corps fit partie intégrante de la révolution plastique avant d’être mis à l’œuvre en action, mais aussi par des traces, des empreintes, des traits et même de devenir palpable. La deuxième partie du XXe siècle fit encore plus entrer le corps dans l’ère de la modernité jusqu’à devenir lui-même le support de l’œuvre dans le body art ou le changement d’identité avec Orlan ou Cindy Sherman.
La représentation du corps humain n’a cessé d’être essentielle dans l’art et notamment dans la culture occidentale. L’affirmation de l’homme passe par sa représentation, l’artiste envisage par la même occasion de rivaliser avec le monde qui l’entoure. Pour certains, l’art est impossible sans corps, la rencontre physique est exigée afin d’envisager l’œuvre. Ce lien doit intervenir entre l’artiste et le corps, mais aussi avec le spectateur. Et aujourd’hui, les artistes ont délaissé la perfection, la force et la beauté pour représenter le corps instinctif et fragile. Ces dernières décennies, les artistes ont cherché à se dépasser, à aller au-delà de leurs limites, tant physiques que psychologiques. La représentation du corps et de la nudité se révèle en ce début de XXe siècle comme étant de plus en plus étroitement liée à la société dans laquelle il est conçu. Aujourd’hui, on peut le dire, le corps intervient dans tous nos faits et gestes, mais aussi dans nos pensées pour dépasser encore et encore les limites de sa représentation.
Comment envisagerons-nous cette représentation dans les années à venir? Quelle place occupent le corps et la nudité dans l’art contemporain aujourd’hui? Quand on regarde la résurgence du culte du corps dans nos sociétés et quand on retient les reprises ces dernières années des représentations corporelles grecques dans l’art actuel, on peut penser qu’on se dirige vers une nouvelle centralisation autour du corps. Comme rarement auparavant, le corps est devenu un objet d’exploration débroussaillant cet espace d’intimité, son exaltation lui confère un renouveau tendant vers un culte modernisé et novateur et délaissant alors ses défigurations et décrédibilisations. Dès lors, aujourd’hui, un retour à la pureté où le corps dans sa simplicité serait sublimé et galvanisé n’apparait pas si impossible, pour en finir ainsi avec les déformations grimaçantes et chafouines du XXe siècle.