Par Félix Morin
Résistance est un terme omniprésent depuis quelques années. Le mouvement Occupy Wall Street résistait à l’économie de marché et aux ravages de celui-ci sur le paysage économique et politique américain. Le printemps 2012 a vu une masse importante de sa jeunesse user les pavés pour résister à la hausse des droits de scolarité. Depuis le début de l’année, un mouvement large, que seulement l’histoire saura nous aider à nommer, semble vouloir résister au néolibéralisme ambiant et à son épistémologie quantitative. Or, malgré tous ces mouvements des masses, des groupes ou des foules, la vraie résistance ne trouve-t-elle pas un sens plus profond dans celle qui s’ancre dans une pratique quotidienne? Du moins, c’est sur ce sujet que le dernier livre Fragments inédits (Diogène le cynique) d’Adeline Baldacchino nous amène à réfléchir.
Nouveaux, vraiment?
Adeline Baldacchino, qui faisait des recherches pour un roman, a trouvé des fragments inédits de ce philosophe. Dans les archives d’un colloque du Centre national de recherche scientifique (CNRS) qui datait de 1991, il y avait des fragments qui, jusqu’ici, étaient inconnus du grand public et que Dimitri Gutas avait mis de l’avant dans une publication.
L’auteure offre la traduction française des fragments dans cet ouvrage qui avait préalablement été traduit de l’arabe vers l’anglais par Gutas. Il s’agit d’un Diogène de tradition arabe, ce qui est fort intéressant parce qu’on y lit la préservation d’une pensée qui n’est pas seulement sous influence orientale, mais bel et bien utilisée par la tradition arabe à des fins parfois idéologiques.
Mais… c’est qui lui?
Pour commencer, Diogène le cynique était un philosophe grec de l’Athènes antique surnommé le philosophe-chien. Il est surtout connu pour les quelques anecdotes qui lui sont rattachées et qui, dès que vous les connaissez, vous arrachent un sourire à coup sûr. On a qu’à penser au jour où, pour se moquer de la définition que Platon donnait de l’homme, « un animal bipède sans plume », il a amené devant lui une poule déplumée en lui disant « voilà l’homme de Platon ». Cela vous donne une idée du personnage! Malheureusement, il est enfermé dans ces quelques anecdotes et on cherche très peu à voir les intuitions philosophiques de cet homme et la profonde actualité de sa pensée.
Madame Baldacchino dresse dans ce livre un portrait des cinq leçons de ce cynisme. Premièrement, vouloir devenir ce qu’on est, être plus proche de l’essentiel, se détacher de ce qui ne compte pas. Deuxièmement, aimer le réel, combler l’écart entre ce que l’on dit du monde et ce que l’on en vit. Troisièmement, questionner l’évidence, renverser les valeurs établies pour vérifier d’où elles tiennent leur légitimité. Ensuite, toujours préserver l’insolence de la liberté. Finalement, ne pas craindre la mort, elle n’est que l’ultime échappée belle, la condition même de la liberté, la conclusion du bonheur d’exister. On est loin d’un cynisme à la Houellebecq ou d’un pessimisme intégral.
Un outil pour résister
Mais je n’ai toujours pas dit en quoi il était résistant, même si cela n’est pas trop difficile à imaginer. En fait, Diogène résiste par une démarche fortement individuelle. Il commence par lui en somme. Comme la première leçon le mentionne, il travaille à réduire l’écart entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. Cette cohérence entre la pensée et le geste est déjà une forme de résistance. Loin des grands discours, Diogène nous amène vers une construction de soi qui, démontrée par une pratique, nous amène à voir les fruits positifs de la résistance. N’étant pas seulement dans la négativité, une pratique de la sorte démontre la positivité d’une résistance. Il s’agit d’une haute exigence parce qu’il faut dire ce qu’on ressent du monde pour arriver à cela. Or, cela, c’est résister à l’envie qu’on a de se raconter des histoires pour nous rendre la vie plus agréable. Cela demande d’être probe et honnête avec soi. C’est aussi résister à l’envie de dire comme les autres et à l’homogénéisation de la pensée. « Vaste programme », comme dirait l’autre.
De plus, une résistance doit aussi être, comme il le dit à la troisième leçon, un questionnement des évidences. Par exemple, un discours contre l’austérité doit tenter de renverser les valeurs que promeut le courant néolibéral pour chercher les racines de sa légitimité. C’est seulement ainsi qu’il pourra comprendre et l’attaquer de manière efficace. Résister demande de renverser les valeurs pour en voir les racines profondes qui les soutiennent. La résistance s’accompagne d’un devoir de compréhension de la position antagoniste à la nôtre.
Pour changer de paradigme
Je pourrais continuer longtemps sur le cas de Diogène le cynique et ses liens avec le concept de résistance. Je vous renvoie donc à ce livre d’Adeline Baldacchino, Fragments inédits (Diogène le cynique), qui est loin d’être seulement un livre pour les connaisseurs. L’auteure est pédagogue et, n’étant pas experte, parle dans des mots de tous les jours.
Ce livre nous permet de changer le Nous de la résistance par un Je préalable. Il s’agit d’une solide porte d’entrée que je conseille à toutes les personnes qui comptent résister à la marche, mais dont les paroles sont, pour le moment, plus fortes que les gestes. Un livre pour pouvoir dire plus tard que, au moins, ça n’aura pas passé par moi.