Par Félix Morin
Il y a des livres qui, malheureusement, passent sous le radar, mais qui devraient être sur toutes les lèvres. Le capital au XXIe siècle de Thomas Piketty fait partie de cette catégorie. Ce livre a eu l’effet d’une bombe en Europe, mais on ne trouve que trop peu de recensions à son sujet. Cet ouvrage est le résultat d’une immense étude, particulièrement ambitieuse, sur la répartition de la richesse et son évolution. Quinze ans de recherche parcourant trois siècles et vingt pays, pour arriver à cette brique de 1000 pages. Qu’est-ce que l’Histoire a à nous apprendre?
Le titre est trompeur. Nous sommes loin des thèses marxistes, et le contenu est très loin d’être un hommage à la pensée de Marx, pour qui l’auteur manifeste tout de même un certain respect, quoique limité. En fait, Thomas Piketty, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et professeur à l’École d’économie de Paris, n’est pas facile à rentrer dans une case. Voilà ce qui rend le livre encore plus intéressant. Trop souvent en économie, on a l’impression que l’auteur soutient son idéologie par des chiffres. Or, Piketty tire une conclusion à partir des chiffres qu’il voit.
Dès la page 16, Piketty donne le ton : « le capitalisme produit mécaniquement des inégalités insoutenables, arbitraires, remettant radicalement en cause les valeurs méritocratiques sur lesquelles se fondent nos sociétés démocratiques. » L’idée est simple; il est plus facile de faire de l’argent lorsqu’on possède du patrimoine que lorsque nous n’en avons pas. Dans l’après-guerre, comme l’Europe était à reconstruire, il était possible d’acquérir du patrimoine parce que tout était à refaire. Maintenant que tout est à nouveau debout, il est plus difficile d’acquérir du patrimoine. Le capital des personnes qui possèdent du patrimoine peut croitre sans problème grâce aux intérêts. Cela amène un grand problème méritocratique parce qu’il ne suffit que d’avoir un papa ou une maman riche pour hériter d’une immense fortune. Cette personne n’aura donc jamais à travailler de sa vie. Comme il le dit si bien,« le passé gobe l’avenir. »
Par contre, comme je suis très loin d’être économiste, j’ai dû prendre énormément de temps pour saisir tout ce que l’auteur avance comme chiffres, tableaux et explications. Cependant, il ne faut pas enlever à Thomas Piketty le fait qu’il a fait un très bon travail de pédagogue. Plusieurs concepts sont extrêmement bien vulgarisés, et le livre se lit généralement très bien.
La section la plus intéressante du livre, à mes yeux, est le 15e chapitre. Le titre dit tout : « Un impôt mondial sur le capital ». Thèse qui semble totalement folle. On aurait dit qu’il s’agit d’une idée de Jacques Attali, mais Piketty défend son point. Un impôt progressif mondial sur le patrimoine privé est le seul et unique moyen de sortir de cette ploutocratie en devenir. Pour lui, il s’agit d’une « réponse pacifique et efficace à ce problème éternel posé par le capital privé et son rendement. » Disons que l’idée est nouvelle, choquante et explique pourquoi ce livre ne semble pas avoir d’échos positifs aux États-Unis.
Un livre particulièrement intéressant que je conseille à tous les étudiants en économie ou à toute personne voulant avoir une perspective historique du capital.
Crédit photo © Éditions Seuil