Par Camille Bergeron
Afin de saisir d’autres réalités concernant certaines conditions de travail à travers le monde, Camille s’est laissée inspirer par ses expériences personnelles ainsi qu’un stage afin de penser et de composer une nouvelle inventée de toute pièce sur le travail malheureux de certains enfants en Thaïlande. Voici donc la brève histoire de Ly Lan.
Ly Lan
Elle avait onze ans.
Sa mère était venue la réveiller doucement, le visage défait, torturé. Sa voix tremblait.
Ma chérie, j’ai besoin de toi.
Les yeux encore engourdis de sommeil, la petite avait acquiescé docilement.
Oui, maman. Mais, pourquoi tu pleures?
Bien que la noirceur ambiante dissimulait la rougeur de ses yeux fatigués, l’éclat humide de ses joues ne pouvait échapper à quiconque.
Je ne pleure jamais mon ange, tu le sais bien…Viens, ça te dit de jouer un peu aux princesses?
L’incrédulité s’esquisse alors sur le joli visage de la fillette. Quelle idée que de se lever avant le soleil pour jouer?
La lourde pénombre enveloppant sa honte, la mère se mit à brosser d’une main tremblante la tignasse soyeuse de son aînée.
Elle déposa ensuite un soupçon de carmin sur sa moue incrédule.
Et voilà. Tu es… ravissante. Un long et douloureux sanglot ponctua l’affirmation maternelle.
Et maintenant, mon cœur, suis-moi. Des amis nous attendent, ils veulent participer au jeu, eux aussi.
En effet, les amis, nonchalamment arrimés aux sièges d’une énorme voiture noire, guettaient leur arrivée.
Ngồi , phụ nữ.
Un rictus étrange pesait sur leurs joues mal rasées.
Durant tout le trajet, la petite, intimidée, se contentait d’observer la campagne thaïlandaise, théâtre de son enfance, qui fuyait trop vite à travers les vitres sombres du véhicule.
…
Une heure plus tard, la ville se dressait devant elle pour la première fois.
Tant de bruits, d’odeurs, de fracas. Mais surtout, tant de lumières : l’éclat, sous toutes ses formes, jaillissait de partout.
Et pourtant, cette nuit de luminosité artificielle marqua l’extinction de la brillance qui habitait le regard de Ly Lan.
Au coin d’une ruelle humide, un peu désolée sûrement, la transaction fut bouclée.
Un sacrifice de jeunesse et de candeur, en retour de quelques bahts. Une somme ridicule, mais toutefois suffisante pour assurer la survie d’une famille quelques mois.
Au moment de la quitter ultimement, sa mère, le corps secoué de sanglots douloureux ne trouva pas le courage d’étreindre sa fille qui désormais ne lui appartenait plus.
…
Elle avait onze ans, un joli visage, un peu rond, et de longs cheveux noirs. Fillette tranquille, aînée de cinq enfants, qui détestait porter des souliers et raffolait du bouillon de sa mère.
Elle travaille désormais à Pattaya, au grand plaisir des touristes venus profiter du plus gros bordel de Thaïlande.