Dans le combiné, une voix confiante et passionnée m’expose un projet scolaire aux proportions audacieuses : un documentaire « neutre et objectif » sur la Corée du Nord. Étienne Ravary, étudiant aux cycles supérieurs à l’Université de Sherbrooke, a convaincu ses enseignants de présenter son mémoire sous forme de documentaire.
Par Marie-Claude Barrette
Bien que nous puissions penser qu’un documentaire portant sur un état communiste totalitaire se veut propagandiste, le projet d’Étienne semble tout autre : « le but c’est d’informer, d’étonner les gens! » Considérant la perception plutôt péjorative de la Corée du Nord partout dans le monde, nous pouvons légitimement nous demander s’il est possible de peindre le portrait de cet État sans prendre position. C’est le défi qu’a voulu surmonter Étienne avec l’aide d’une équipe, notamment son directeur photo, Laurent Dansereau, qui l’accompagne dans cette aventure.
Et quoi de plus convaincant qu’une personne qui a réellement mis les pieds en sol nord-coréen? Les enseignants d’Étienne, qui désapprouvaient de prime abord le projet, ont mis leur scepticisme de côté lorsque ce dernier a entrepris les procédures pour se rendre là-bas. C’est à son retour (en un morceau et toujours aussi passionné) qu’il a eu l’approbation officielle pour son projet.
En effet, en avril 2014, Étienne a eu l’opportunité de visiter la Corée du Nord. Un voyage qui demande de la préparation puisqu’il faut passer par une agence de voyages reconnue par la Corée du Nord, choisir un circuit organisé fixe et obtenir un visa touristique. C’est particulièrement sur ce dernier point qu’il peut y avoir quelques complications puisqu’une étude de dossier est entreprise pour toute demande. L’itinéraire prévu s’amorce ensuite, calculé à la minute près, du lever jusqu’au coucher. « Tu ne peux jamais te balader seul » et nous comprendrons qu’une personne serait folle de vouloir subir les conséquences d’un tel écart. L’image du Big Brother prend tout son sens; et encore, tout semble manipulé. « Tu [ne] sais jamais ce qui est vrai ou ce qui est faux. » Optimiste, Étienne soutient que l’État sera tôt ou tard forcé de changer sa politique. Et ce sera sa dépendance économique à l’égard de la Chine qui aura raison de leur dictature critiquée internationalement. Il soutient toutefois que la vision que nous avons de cet État colle à l’image de la Corée dans les années 90. Si les plus vieux vénèrent encore les dirigeants (ces derniers ayant vécu les différents changements de régime et les guerres), la peur s’est transformée en curiosité chez les plus jeunes : « le pays a évolué et nous voulons donner une image juste de la situation actuelle ».
Captivée par son récit de voyage en territoire inconnu, je me suis tout de même surprise à lui poser une question des plus insipides : « quelle a été ta réelle perception sur la Corée du Nord… de par ton expérience? » (Moi qui pensait rivaliser Bruno Blanchet en relatant le périple d’Étienne… mon objectif venait de s’effondrer à la simple prononciation de ses quelques mots banals). « Ultra-propagandiste » aura été sa réponse.
Son documentaire présentera toutefois autrement la Corée du Nord. « Mon but n’est pas de prendre la droite ou la gauche ou de changer l’opinion : c’est de comprendre la Corée du Nord. » Objectif qu’il a prévu atteindre en proposant un documentaire qui diffère de ceux existants.
Une image documentée et neutre
Le documentaire gravite autour des réponses obtenues avec des questionnaires et des interviews réalisés auprès d’experts, de journalistes, de politiciens, d’enseignants et de personnes ayant quitté le territoire nord-coréen. Les rencontres ont eu lieu principalement à Séoul (en Corée du Sud) et à Washington. Aucune entrevue n’a été faite en Corée du Nord par mesure de précaution et de prévention, et surtout dans l’optique d’obtenir une information juste. Même si plusieurs personnes dans le documentaire modifieront notre opinion négative de la Corée du Nord, notamment en raison de leur notoriété et de leur expertise, ceux-ci expliqueront d’abord des subtilités en regard à la politique, à l’économie et à la dynamique sociale.
Puisque les grandes lignes de l’histoire de la Corée du Nord ont été écrites des centaines de fois dans un ordre et un vocabulaire similaires, le projet d’Étienne devait se démarquer en abordant des thèmes ignorés et en proposant une compréhension de cet État mystérieux (‘Mystical land’).
Quand, où, comment?
À pareille heure la semaine prochaine, ils s’envoleront pour ce pays d’Asie de l’Est afin de finaliser le documentaire. La version finale « publique » est prévue pour l’automne 2015 : une version quelque peu modifiée de celle académique qui se veut plus formelle. Étienne et Laurent n’ont toutefois pas planifié présenter leur documentaire dans UN cinéma (souhaitons que le North Korea Project ne subisse pas les mêmes contraintes que The Interview). En effet, ils visent une diffusion plus modeste en commençant par les différents festivals locaux (Rencontres internationales du documentaire de Montréal), mais également à l’échelle mondiale.