Par Victor Dionne
Le 24 mai dernier, le gouvernement du Québec adoptait le projet de loi 96, soit la réforme de la Charte de la langue française. En conférence de presse, le premier ministre François Legault déclarait qu’il s’agissait de sa première modification majeure depuis son adoption en 1977. Avec 78 voix pour et 29 voix contre, la législation ne faisait pas l’unanimité à l’Assemblée nationale. Le Parti libéral du Québec (PLQ) et le Parti conservateur du Québec (PCQ) s’y opposaient notamment parce qu’ils considéraient que la législation brimait les droits des anglophones, entre autres.
Cependant, ce ne sont pas les seuls qui avaient quelque chose à dire contre ce projet de loi. Plusieurs membres de communautés autochtones ont exprimé leur mécontentement et leur crainte envers celui-ci. Juste avant son adoption, de jeunes Mohawks de Kahnawake étaient sortis dans les rues par crainte d’impacts sur leur langue et leur culture. De plus, dans une entrevue à Radio-Canada, Sarah Aloupa, présidente de Kativik Ilisarniliriniq, la commission scolaire du Nunavik, verbalisait ses inquiétudes concernant les effets de la réforme sur la scolarisation des personnes étudiantes inuites.
D’après le professeur de philosophie et d’éthique appliqué de l’Université de Sherbrooke Claude Gélinas, le mécontentement des communautés autochtones n’est pas surprenant : « dans leur perspective, c’est le colonialisme historique qui continue et qui est encore bien présent. »
Un obstacle à la scolarisation
« Je te dirais que c’est la principale préoccupation pour les nations autochtones, surtout pour celles de langues anglophones », disait le spécialiste en la matière. L’ajout de trois nouveaux cours en français (ou de français) au cégep risque d’affecter fortement la diplomation et l’accessibilité aux études d’après les leaders autochtones.
Pr Gélinas soutient qu’en ajoutant ces cours, cela pourrait nuire à la continuité des études postsecondaires pour les membres : « certains Autochtones craignent, sachant que c’est déjà un exploit pour beaucoup d’Autochtones de se rendre au collégial. On ajoute encore plus d’obstacles à la poursuite de leurs études, de leur formation. Cela risque de nuire à leur capacité d’aller à l’université. » Selon les données du recensement de 2016 réalisé par Statistique Canada, seulement 10,9 % des Autochtones du Québec sont des diplômés universitaires.
D’ailleurs, le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, signifiait à La Presse canadienne que le projet de loi « va forcer l’exode de nos étudiants vers d’autres écoles à l’extérieur du Québec. » Le chercheur mentionne d’autant plus que cet exode conduirait à d’autres conséquences qui soulèvent des craintes légitimes pour les nations autochtones concernées. « Certains disent déjà que plusieurs élèves autochtones anglophones vont plutôt chercher à aller suivre leur formation à l’extérieur du Québec, ce qui implique de s’éloigner de la communauté et que certains vont peut-être choisir de rester dans la ville où ils vont aller étudier », précise-t-il.
Des préoccupations pour les langues autochtones
La réforme de la Charte de langue française ne contient aucune mention de reconnaissance de langues autochtones. « On avait demandé par exemple que le préambule face référence aux langues autochtones, sinon de les reconnaître comme des langues officielles, ou tout de moins reconnaître leur présence, leur ancienneté, ce qu’a refusé de faire le gouvernement », explique Claude Gélinas.
Plusieurs communautés autochtones font part qu’une grande partie de leurs langues sont dans des situations difficiles. Puisque leur survie n’est pas garantie, elles souhaitaient que le gouvernement Legault prenne les dispositions nécessaires. Que ce soit par la reconnaissance des langues ou par des outils pour aider à les préserver, les promouvoir et les revitaliser, Québec avait une opportunité de collaborer avec ses peuples autochtones, d’après l’expert.
Il mentionne toutefois qu’il a l’impression que l’impact de la loi 96 va être variable d’une communauté à l’autre : « les communautés autochtones anglophones vont être beaucoup plus touchées directement par les dispositions de cette loi que les communautés autochtones qui sont davantage de tradition francophone. » Pour ces dernières, ce n’est pas nécessairement les mêmes préoccupations. « Je pense que ce n’est pas tellement l’attaque envers les langues autochtones qui est préoccupante, mais l’absence d’outils pour préserver ce qui reste des langues autochtones, de les valoriser et de s’assurer de leur pérennité », prononce le chercheur.
S’opposer à la réconciliation
Le Pr Gélinas explique que la réaction des communautés autochtones n’est pas qu’au niveau microscopique, c’est-à-dire au niveau des conséquences immédiates, comme au sujet de l’éducation et des langues. Elle est également au niveau macroscopique, unissant l’ensemble des nations autochtones : « c’est cette idée que cela est perçu encore une fois comme une approche très coloniale. Les autochtones n’ont pas sérieusement été consultés, ceux qui ont donné leur opinion n’ont pas vraiment été écoutés. »
En ce sens, les autochtones se considèrent comme encore laissés de côté. « Ils ont encore l’impression que la majorité tire profit de son contrôle des institutions politiques en mettant de l’avant ses propres besoins, ses propres priorités au détriment de celles des Autochtones, soutient-il. La loi ne s’intéresse pas du tout à la présence autochtone, la réalité linguistique autochtone, alors c’est en ce sens qu’ils l’ont qualifié d’un recul par rapport à la politique de réconciliation. »
Crédit image @Pascal Bernardon