Par Dorian Paterne Mouketou
La faible représentation des femmes dans le domaine des sciences et du génie (SG) est souvent remarquée lorsqu’on compare les facultés universitaires. À l’UdeS, la Faculté des sciences et la Faculté de génie brillent par leur surreprésentation des hommes. Cette sous-représentation des femmes est-elle un mythe ou une réalité?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes
En 2016, les femmes représenteraient 48 % du marché du travail québécois (Institut de la statistique du Québec, 2016). Parmi elles, moins de 22 % travailleraient en SG. Dans le milieu universitaire, en 2010, les femmes représentaient 18 % du corps professoral en sciences pures et 19 % en génie, contre respectivement 82 % et 81 % pour les hommes. Le même constat est fait du côté des ordres professionnels de SG (2014-2015) : seulement 14 % des femmes sont membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec, et 38 % sont membres de l’Ordre des chimistes du Québec (Rapport communautaire annuel de la CFSG, 2016-2017).
La proportion des femmes en SG n’est pas encore assez significative au Québec et même au Canada, nous dirait l’ingénieure et professeure en génie mécanique Ève Langelier, qui est également titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec (CFSG). Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), qui est l’originaire de la création des CFSG dans toutes les régions du Canada, a voulu se donner un outil pour expliquer, par la recherche, et pour contrer, par diverses activités, le problème de la sous-représentation féminine dans le domaine des SG. Pour la titulaire de la Chaire à l’Université de Sherbrooke, « c’est une réalité! La sous-représentation féminine en SG est complexe et multidimensionnelle ». Et cela s’expliquerait par plusieurs facteurs, selon elle.
Comment expliquer la faible représentativité?
La doctorante en génie mécanique offre un petit tour d’horizon, du moins pour comprendre cette faible représentativité de façon globale. Le contexte social et culturel donnerait sans doute une piste de réflexion. En passant par la distribution des rôles à la maison depuis notre tendre enfance aux messages véhiculés par les médias, ou par le fonctionnement du système scolaire, où les enseignantes au primaire sont plutôt généralistes et les élèves plutôt moins motivés par les sciences et le génie au secondaire, Mme Langelier essaie de mettre la lumière sur une réalité sociale bien enracinée dans nos valeurs et notre culture. Les stéréotypes – « les maths, c’est pour les hommes! » – jouent également dans l’équation. Mme Langelier ajoute : « Plusieurs pistes d’explications ont été soulevées, comme le manque de confiance de plusieurs femmes, le fait qu’elles progressent moins dans leur carrière et la présence d’un «boy’s club» , pour n’en nommer que quelques-uns. » Par l’éducation et la sensibilisation, l’ensemble des CFSG espère que les choses changent.
La Chaire pour les femmes en SG : un travail de terrain
Depuis 1996, la Chaire s’est donné un triple objectif : le recrutement, la rétention et la progression des femmes en SG. Plus concrètement, la CFSG de l’UdeS offre des ateliers de formation sur le leadership et la communication aux étudiantes en SG, une façon d’en faire des leaders, d’après la titulaire. « Nous offrons des formations de sensibilisation à différentes instances de l’Université à propos des avantages de la diversité et des préjugés inconscients lors de l’embauche de professeurs ou professeures ou d’attribution de chaires de recherche du Canada. » Le recrutement des mentors, la démystification des carrières en SG et le déboulonnement des idées préconçues ne constituent que quelques exemples du travail que Mme Langelier fait avec l’équipe de femmes qui l’accompagnent.
Qu’en est-il du volet campus? À l’Université de Sherbrooke, la Chaire vise à « sensibiliser la communauté étudiante aux avantages de la diversité et aux «préjugés inconscients» (pour l’embauche de professeures, l’attribution de chaire, le recrutement d’étudiantes). La Chaire se veut également une place pour donner des outils aux étudiantes « afin qu’elles puissent avoir une carrière heureuse et fructueuse en SG », notamment en identifiant « des actions à mettre en place pour le recrutement d’étudiantes et leur réussite ». Enfin, Mme Langelier s’est donnée comme mission d’appuyer certains groupes qui se mobilisent pour la diversité (Ex. : RADIUS), ou par le biais d’organisation de conférences visant à outiller les femmes (Femmes en physique 2018).
Toutefois… des enjeux bien inquiétants
Dans un article publié le 12 décembre dernier sur la page Facebook de la Chaire, Mme Langelier s’adressait aux étudiantes et aux étudiants en ces mots : « J’ai récemment appris qu’encore aujourd’hui, on demande à certaines et à certains d’entre vous de vous priver du bonheur de la parentalité. Plus spécifiquement, dans une entente écrite, on demande à des étudiantes de ne pas tomber enceinte durant leurs études de 2e et 3e cycles, et à des étudiants de ne pas profiter de leur congé de paternité. »
Ce message, qui a attiré l’attention sur les réseaux sociaux, a soulevé pas mal de questions quant à la discrimination faite aux femmes lorsque celles-ci décident de poursuivre leurs études à la recherche. Cette réalité que vivent les femmes d’aujourd’hui dans certaines universités québécoises n’est pas celle qu’a vécu celle qui dirige la CFSG de l’UdeS. « Aujourd’hui, écrivait-elle, je réalise que j’ai été privilégiée. Encore plus quand on me raconte que des étudiantes craignent de perdre leur projet si elles tombent enceintes, et que des professeures craignent que la venue d’un enfant nuise à leur demande de permanence. »
« Pour progresser, il faut s’unir, il faut travailler ensemble. C’est pourquoi nous travaillons, par exemple, avec le CODIQ (Conseil des doyens d’ingénierie au Québec) et avec le Comité 30 en 30 de l’Ordre des ingénieurs du Québec […] l’équité et l’inclusion, ça devrait être «normal» en 2018. Mais, c’est aussi payant pour les organisations! »
Crédit Photo @ CFSG