Par Renaud Duval
Comment raconter l’attente de l’être cher injustement emprisonné ? C’est le défi que se sont donné Luc Côté et Patricio Henrique dans leur documentaire « En attendant Raïf », diffusé tout récemment à Radio-Canada. Pendant près de dix ans, ils ont suivi la désormais célèbre Sherbrookoise d’origine saoudienne Ensaf Haidar dans sa lutte pour la libération de son mari, Raïf Badawi.
Dans un style sobre et intime, on suit Ensaf et ses trois enfants à partir du moment de leur arrivée à Sherbrooke en 2013 jusqu’à l’annonce de la libération de Raïf, en février 2022. Comme le dit le titre, l’attente est un thème important du documentaire, alors que la famille Badawi doit s’armer de patience et rester forte malgré les blocages, le sentiment d’impuissance et les espoirs parfois déçus.
Néanmoins, l’attente ne signifie pas la passivité : on voit Ensaf se tenir debout pour sa cause aux quatre coins du monde, alors qu’elle multiplie les entrevues, les voyages, les réceptions de prix avec de grandes personnalités politiques. Mais au-delà de cette solidarité sur la grande scène internationale, le réseau de solidarité qu’elle développe à Sherbrooke a quelque chose de touchant ; on sent la chaleur humaine authentique, les amies qu’elle se fait, un sentiment de communauté et d’appartenance en somme.
L’humanité avant tout
Au travers de cette lutte sur plusieurs tableaux, du cœur de la maison au Parlement européen en passant par les réseaux sociaux, elle nous confie qu’elle se découvre elle-même une force insoupçonnée. Progressivement, elle prend confiance en elle, s’affirme elle-même au-delà de l’identité de son mari ou celle dans laquelle elle a grandi, jusqu’à se présenter aux élections pour le Bloc Québécois dans Sherbrooke en 2021, faisant campagne entourée d’étudiants sous le slogan « Québécoise ».
Même s’ils ne sont pas les sujets principaux du documentaire, il est fascinant de voir les enfants Badawi grandir, développer leurs idées et leurs perceptions de la situation, le tout dans un français qui progresse rapidement en adoptant un solide accent québécois.
La principale force de ce documentaire est probablement son approche humaine et directe face à un enjeu aussi complexe, qui aurait pu être abordé de façon analytique et détachée. Tout au long du documentaire, on développe une sympathie pour la famille Badawi en s’immergeant dans leur quotidien. Alors qu’au départ, on se sent frappé d’un certain aspect tragique et résigné, il est formidable de voir la flamme de l’espérance se maintenir malgré les obstacles. Après une heure et quart d’attente pour nous (et dix ans pour eux), on ne peut pas s’empêcher de ressentir une grande joie et un grand soulagement lorsque la sortie de prison de Raïf est confirmée.
La lutte continue encore, puisque Raïf ne peut pas quitter l’Arabie Saoudite avant 2032. Cependant, on se sent plus serein, sachant comment, même à des milliers de kilomètres, à Sherbrooke, il y a une grande famille qui se tient debout pour lui et l’attend toujours.
Le documentaire est disponible dès maintenant à tous sur Tou.TV, en diffusion libre.
Crédit image @ONF