Les thérapies de conversion sous la loupe 

Par Meg-Anne Lachance

La Cour suprême des États-Unis examine actuellement une loi du Colorado restreignant l’utilisation de thérapies de conversion. 

La Cour suprême américaine a débuté, mardi, son examen concernant l’interdiction des thérapies de conversion sur mineur. La possible levée des réglementations soulève des inquiétudes chez les organismes de la communauté 2SLGBTQ+. 

La plus haute instance judiciaire du pays s’est penchée pour la première fois sur la question des thérapies de conversion, mardi. La Cour, majoritairement composée de magistraux conservateurs, s’est montrée « réceptive » aux arguments des groupes souhaitant la levée des réglementations. 

En cause, la constitutionnalité d’une loi du Colorado adoptée en 2019, interdisant le personnel praticien d’avoir recours aux thérapies de conversion sur les personnes mineures. Selon le gouvernement de l’État, ces pratiques nocives et inefficaces augmentent les risques de « dépression, d’anxiété, de pensées suicidaires, voire de tentatives de suicide ». 

Cependant, Kaley Chiles, conseillère psychologique de l’État, a contesté la loi, affirmant que cette dernière allait à l’encontre de sa foi chrétienne, violant du même coup le premier amendement garantissant la liberté d’expression. « Cette loi prohibe des conversations volontaires, censurant des opinions largement partagées sur des questions morales, religieuses et scientifiques qui font l’objet de débats », dénonce James Campbell, avocat de la conseillère. 

« Madame Chiles est censurée. Les enfants et les familles qui veulent le type d’aide qu’elle pourrait leur offrir sont abandonnés sans aucun soutien », déplore-t-il. Selon ses propos, sa cliente ne ferait qu’« encourager des mineurs à atteindre des objectifs que l’État réprouve sur les questions de genre et de sexualité. Elle discute des concepts d’identité, de comportement et d’attraction et de la manière dont ils s’articulent entre eux », explique l’avocat. 

Questionné sur les études scientifiques relevant les effets nuisibles de ces thérapies, M. Campbell a rejeté ces recherches qu’il juge inexactes et ne faisant pas la distinction entre « conversations consenties et des thérapies par électrochocs ». 

Sonia Sotomayor, l’une des trois juges progressistes de la Cour suprême, a toutefois balayé la censure invoquée par Mme Chiles, se basant notamment sur cet argument. Les thérapies de la plaignante n’étant pas visées par la législation de l’État, cette dernière ne serait pas censurée. 

Une pratique fortement contestée 

Malgré la procédure judiciaire, le Colorado reste clair sur sa position : les thérapies de conversion sont nuisibles. « La nocivité de la thérapie de conversion vient du fait que vous dites à une jeune personne qu’elle peut changer cet aspect inné d’elle-même. Alors elle essaye de toutes ses forces, elle échoue, et cela la rend honteuse et déprimée et brise ses relations familiales », énonce la représentante de l’État, Shannon Stevenson. 

Selon cette dernière, Mme Chiles est incapable de fournir « la moindre preuve, expertise ou étude validant les thérapies de conversion alors qu’il y a une montagne de preuves démontrant le contraire ». Avec sa loi, l’État espère pouvoir encadrer le domaine médical, afin de « protéger les patients ». Les autorités d’État assurent toutefois que le texte n’interdit pas toutes les formes de thérapies. « La seule chose que la loi interdit aux thérapeutes de faire est d’administrer un traitement qui vise de manière prédéterminée à changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’un mineur parce que ce traitement est risqué et inefficace. » 

Présentes depuis plusieurs décennies, les thérapies de conversion sont des pratiques/traitements visant à changer l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou l’expression de genre d’une personne, ou encore à réprimer des comportements sexuels non hétérosexuels. « L’idée est alors d’offrir à ces personnes ces “thérapies” qui peuvent prendre des formes variées (médicales, spirituelles, religieuses, etc.) pour les “guérir” du fait de ne pas être hétéro ou être une personne trans ou de la diversité de genre », précise la vice-présidente de TransEstrie, Mia Fréchette. 

Derrière ces « traitements » se dessine une vision conservatrice de l’orientation sexuelle et de la notion de genre. « Les thérapies de conversion sont ancrées dans le fait qu’historiquement les pratiques sexuelles et sexualités autres qu’hétérosexuelles, ainsi que le fait d’être une personne trans ou de la diversité de genre, ont été perçus comme des pathologies ou troubles psychologiques et qui peuvent alors être guéris », analyse Mia Fréchette. Aux États-Unis tout comme au Canada, ces pratiques sont largement discréditées par les organisations médicales.  

Et au Canada ? 

Bien qu’illégales au Canada depuis 2021, ces thérapies sont toujours présentes, mais sous différentes formes. Du moins, c’est ce que soulève la Fondation Émergence. « Parfois, plusieurs personnes ne savent pas forcément que leurs services constituent des thérapies de conversion. Ça peut être proposé comme des thérapies exploratoires, des formes de psychothérapie, ça peut aussi prendre la forme de coaching, par exemple », a exposé Julien Rougerie, formateur et spécialiste en contenu de diversité sexuelle et de genre de l’organisation, en entrevue à Bonjour la Côte. 

Selon une étude publiée en 2022, plus de 25 % des personnes issues de la communauté 2SLGBTQ+ auraient subi de la pression pour être hétérosexuelles ou pour afficher une identité de genre et une expression de genre correspondant à leur sexe assigné à la naissance. Environ 5 % d’entre elles ont subi une « réelle » thérapie de conversion. 

La possibilité de renversement des interdictions du Colorado par la Cour suprême est alarmante pour la communauté 2SLGBTQ+, même de notre côté de la frontière. Dans un contexte difficile pour les droits des personnes 2SLGBTQ+, la décision pourrait mettre de l’huile sur le feu. 

L’an dernier, le gouvernement albertain a adopté trois lois visant à restreindre les droits des personnes trans, notamment dans le processus de changement de nom, dans le monde du sport et dans les services de santé. L’utilisation de la clause dérogatoire pour ces lois a été mentionnée par la première ministre de la province, il y a quelques semaines.  

Au Québec, en juin dernier, le ministère de la Sécurité publique a annoncé que les personnes incarcérées transgenres devront dorénavant être placées dans des établissements correspondant au sexe assigné à la naissance. « Le recul potentiel des interdictions sur les thérapies de conversion aux États-Unis est préoccupant. C’est particulièrement inquiétant dans le contexte politique canadien actuel où plusieurs provinces remettent en question le droit des personnes trans », conclue la vice-présidente de TransEstrie. 


Crédit : Ted Eytan

Meg-Anne Lachance
Cheffe de pupitre SOCIÉTÉ at Journal Le Collectif  societe.lecollectif@usherbrooke.ca   More Posts

Étudiante en politique, Meg-Anne a toujours été intéressée par les enjeux internationaux, sociaux et environnementaux. Après avoir occupé le rôle de journaliste aux Jeux de la science politique, elle a eu la piqûre des communications. Guidées par un sentiment d’équité, elle s’efforce de donner une visibilité aux actualités oubliées. Féministe dans l’âme, vous pourrez certainement retrouver cette valeur dans certains de ses textes!

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