Par Olivier Boivin

Un énième épisode de « Donald Trump contre les médias » est paru dans nos télévisions la semaine dernière. Les principales chaînes d’information aux États-Unis ont unanimement rejeté les nouvelles règles de presse imposées par le Pentagone, ouvrant la porte à l’administration Trump de se doter d’un possible pouvoir d’expulsion de journalistes de l’édifice gouvernemental.
Ces directives émanent du ministère de la Défense, qui a d’ailleurs été récemment rebaptisé sous le nom de département de la Guerre, le Pentagone étant le bâtiment qui abrite son quartier général. Les médias ont affirmé que cette politique, s’ils y adhéraient, les menacerait de pénalités sévères quant aux activités reliées à la collecte d’informations ; un droit pourtant protégé par le premier amendement de la Constitution américaine.
Cette nouvelle initiative interdirait aux journalistes d’avoir accès à de larges pans du Pentagone, sauf s’ils sont accompagnés d’une escorte. Pete Hegseth, secrétaire de la Guerre, se donnerait aussi le droit avec ces règles de révoquer l’accès aux journalistes qui utiliseraient des informations obtenues auprès de tout membre du ministère de la Guerre – qu’elles soient classifiées ou non – dont il n’a pas approuvé la publication.
Le porte-parole en chef du Pentagone, Sean Parnell, explique que ces restrictions ne font que relever du bon sens, et que ce nouvel encadrement n’est pas une question d’acceptation, mais plutôt de compréhension quant aux nouvelles politiques.
« Cela a provoqué une véritable crise chez les journalistes, qui se sont mis à pleurer sur Internet, s’est exclamé M. Parnell sur un ton moqueur. Nous maintenons notre politique, car c’est ce qui est le mieux pour nos troupes et la sécurité nationale de ce pays. »
Plusieurs journalistes se sont indignés face à cette nouvelle politique, affirmant déjà agir dans les règles de l’art lorsqu’ils se trouvent au Pentagone. Ces derniers disent porter des badges depuis longtemps, ne pas accéder aux zones confidentielles et ne divulguer aucune information qui mettrait en péril la sécurité des Américains.
Rare union entre les médias de gauche et de droite
Dans la liste des médias qui ont refusé ces nouvelles mesures, on retrouve notamment le New York Times, l’Associated Press, le Washington Post et The Atlantic. Le chef du bureau du Times à Washington, Richard Stevenson, a aussi tenu à souligner que le public avait le droit de savoir comment fonctionnent le gouvernement et l’armée, comme ces institutions bénéficient de sommes importantes versées par les contribuables chaque année. Ce qui retient toutefois l’attention est le fait que même des médias plus conservateurs, souvent alignés sur les positions de l’administration Trump, ont choisi de ne pas abdiquer à ces règlementations.
En effet, Newsmax et Fox News se sont joints aux autres médias américains, rejetant chacun à leur tour l’ultimatum du Pentagone. Une déclaration commune a été signée par ABC News, CBS News, CNN, Fox News et NBC News, écrivant que cette nouvelle politique était une menace contre les protections fondamentales du journalisme. « Nous continuerons à couvrir les activités de l’armée américaine comme chacun de nos médias le fait depuis de nombreuses décennies, en défendant les principes d’une presse libre et indépendante », ont-ils garanti au public.
L’association de la presse du Pentagone a commenté en rappelant que le droit du Pentagone d’élaborer ses propres politiques n’avait aucun lien avec l’exigence à l’endroit des journalistes de comprendre leurs « politiques vagues et probablement inconstitutionnelles » comme condition pour publier des articles en lien avec les activités du quartier général du ministère de la Guerre.
De son côté, le président américain a commenté le dossier devant la presse en début de semaine dernière. « Je pense qu’il [Pete Hegseth] considère que la presse est très perturbatrice pour la paix dans le monde et peut-être pour la sécurité de notre nation. La presse est très malhonnête », a-t-il dit sous un ton hostile, ton auquel il nous a habitués en mêlée de presse au cours des dernières années.
Pour sa part, M. Hegseth a pris le temps de réagir sur X, mardi dernier, pour commenter une déclaration du Times au sujet des nouvelles règles. « Prendre le temps » serait cependant une exagération, l’ancien commentateur politique de Fox News se limitant à un simple émoji agitant la main en signe d’adieu. Il est d’ailleurs revenu à la charge plus tard, republiant la publication d’un utilisateur disant que le premier amendement n’égalait pas à un droit acquis pour les journalistes d’avoir un accès libre à une installation militaire hautement classifiée comme le Pentagone. Tout porte à croire que le ministère de la Guerre ne changera donc pas de position de sitôt.
Les médias avaient jusqu’au 14 octobre avant 17 h pour signer l’engagement, sous peine de voir leurs journalistes devoir remettre leur accréditation et de quitter les lieux s’ils n’emboîtaient pas le pas, et ce en l’espace de 24 heures.
La liberté d’expression prend un autre coup dur
Menaces de coupures de fonds aux universités qui ne se conforment pas aux exigences gouvernementales, visas révoqués de ressortissants étrangers ayant commenté négativement la mort de Charlie Kirk, pressions auprès de la Commission fédérale des communications (FCC) pour faire fermer des émissions de fin de soirée ; ce ne sont pas les exemples qui manquent. Force est de constater que la liberté d’expression aux États-Unis se porte assez mal.
Plusieurs commentateurs ont souligné qu’avec ces nouvelles règles, les médias n’auraient jamais pu faire la lumière au début des années 2000, par exemple, sur la torture des prisonniers de la prison d’Abou Ghraib en Irak.
Dans les dernières années, Donald Trump a exercé des pressions sur les médias de plusieurs manières. ABC News et CBS News ont respectivement conclu des accords à l’amiable à la suite des poursuites liées à leur couverture médiatique. En outre, Trump a annoncé en septembre dernier poursuivre le New York Times pour une somme de 15 milliards de dollars, pour cause de diffamation. Il ne faut pas oublier aussi cette fameuse poursuite de 10 milliards de dollars contre le Wall Street Journal, le quotidien qui avait révélé en primeur cet été l’existence de cette lettre qu’avait envoyée le président américain à Jeffrey Epstein.
Source : Getty Images
