La petite histoire de la laïcité au Québec 

Par Noémie Noël

La laïcité au Québec n’est historiquement pas un motif pour la mise en place de politiques rigides sur la séparation entre l’Église et l’État. 

Depuis son premier mandat, la Coalition Avenir Québec (CAQ) a indiqué dans ses priorités « l’interdiction du port de signes religieux pour le personnel en position d’autorité ». Bien qu’au départ la laïcité n’était pas écrite noir sur blanc dans ses orientations électorales de 2018, il s’agit aujourd’hui d’un mot omniprésent au sein du gouvernement et dans les médias. Cependant, sans critiquer le principe de laïcité en lui-même, de nombreuses voix s’élèvent quant à l’application qui en est faite par le gouvernement caquiste.  

Pour éclairer davantage les débats qui fusent actuellement – notamment autour du projet de constitution proposé par le gouvernement – retraçons ensemble l’histoire de la laïcité au Québec. 

La sécularisation de l’État : un processus graduel 

Ayant longtemps été sous l’influence politique et sociale conjuguées de l’État et de l’Église, les Québécoises et Québécois du XXe siècle viennent à remettre graduellement en question la place que devrait occuper la religion dans les différentes sphères de la société. Dans les années 1960 à l’élection du gouvernement libéral de Jean Lesage, cela mène à la création du ministère de l’Éducation. Débute ainsi la prise en charge de l’éducation par l’État, un premier pas important de la sécularisation. Cependant, contrairement à ce qu’on voit aujourd’hui, cette séparation n’est pas le fait d’une seule loi. Il s’agit de politiques et de mesures demandées par différents acteurs sociaux qui vont petit à petit retirer à l’Église catholique ses pouvoirs au sein de l’État. Ainsi, c’est seulement dans les années 2000 que les écoles cessent officiellement d’être confessionnelles. 

Pourtant, lorsqu’on écoute les discours qui font fusionner laïcité et identité, on a la forte impression que la laïcité a été un projet politique uniforme, clair et défini, un socle de l’identité québécoise. En réalité, des prêtres pouvaient encore siéger à l’Assemblée nationale dans les années 2000 et le délaissement graduel de la religion par la population n’a pas détruit l’attachement du Québec pour ses symboles et ses institutions religieuses. 

La laïcité n’a donc historiquement pas été un motif pour la mise en place de politiques rigides sur la séparation entre l’Église et l’État au Québec. Elle a plutôt été le résultat d’un glissement graduel au cours duquel les principes démocratiques et technologiques ont pris préséance sur ceux de la religion dans les affaires politiques. 

Le début des débats 

Les gros débats sur la laïcité commencent véritablement en 2006, alors qu’un Montréalais sikh défend son droit de porter une dague cérémoniale, le kirpan, à l’école. Cela crée une énorme réaction au Québec. La cause passe à travers les plus hauts tribunaux et la Cour suprême du Canada donne finalement raison à l’étudiant. Cette controverse engendre ensuite la célèbre commission Bouchard-Taylor qui recommande l’interdiction des signes religieux pour les personnes en position d’autorité. Mais saviez-vous que cette même année, un prêtre siégeait comme député à l’Assemblée nationale du Québec ? Pourtant, l’autorité politique de ce religieux n’a pas été remise en question au même titre que la liberté religieuse de l’étudiant. 

Deux poids, deux mesures 

Restaurer les nuances du passé nous permet ici de mieux comprendre le narratif actuel qui entoure la question de laïcité. Parce que l’urgence d’agir, elle, n’a pas été déclenchée par l’idée que l’Église et l’État devraient être séparées, elle a été enflammée par la peur de l’« Autre ».  

Dès lors que l’on comprend ce bout d’histoire, il apparaît plus facile de voir le sens des années de débats qui ont suivies. Le climat politique au Québec est devenu de plus en plus influencé par les idées nationalistes, la peur de l’immigration et l’islamophobie. La France étant prise à la fois comme un exemple de laïcité de l’État et comme un contre-exemple en matière de politiques d’immigration, les débats ici se sont amplifiés. C’est seulement en 2019, sous l’impulsion du gouvernement caquiste, que le premier projet de loi québécois sur la laïcité est déposé. Mais plutôt que d’assouvir les débats, cela les a décuplés. Un mouvement de contestation s’est ainsi élevé contre la loi 21 en dénonçant le recours abusif à la clause dérogatoire et le fait que l’application de la loi affectait certaines religions plus que d’autres. 

L’égalité hommes/femmes et la laïcité 

C’est notamment l’impact disproportionné de cette loi sur les femmes musulmanes portant le voile qui est critiqué. La loi entraîne effectivement des conséquences réelles sur les vies et les futurs de ces femmes, mais au-delà de ces effets, l’association qui est faite entre l’égalité hommes/femmes et la laïcité est en elle-même très parlante quant aux religions ciblées. En effet, le discours sur la laïcité s’appuie régulièrement sur l’oppression vécue par les femmes dans certains États où la charia est appliquée pour avancer que le port de signes religieux est incompatible avec les valeurs québécoises. Un lien artificiel est ainsi créé entre la défense de l’égalité hommes/femmes et la laïcité, lien qui justifie des formes de discrimination religieuse. Mais si l’égalité hommes/femmes était si importante pour le gouvernement, on peut s’imaginer qu’il ne tenterait pas de légiférer sur l’avortement malgré les nombreux avertissements des spécialistes, et qu’il n’abandonnerait pas non plus la parité ministérielle alors que le taux d’approbation du parti est à son plus bas. 

Le projet de constitution 

L’égalité hommes/femmes semble également instrumentalisée au sein de la constitution proposée par la CAQ. Établissant la primauté de cette égalité sur les libertés religieuses, reconnaissant la « tradition civiliste », obligeant l’application de la loi distinctement de la charte canadienne et insistant sur le modèle « intégrationniste », la constitution apparaît moins comme une façon de protéger les droits et libertés des Québécoises et Québécois que comme une façon d’augmenter le pouvoir de l’État à légiférer sur le domaine religieux, notamment en limitant l’expression de la foi au domaine du privé.  

Or, historiquement, la laïcité implique la séparation et l’indépendance des deux sphères, ainsi que la neutralité religieuse de l’État. Les critiques peuvent donc être comprises à l’aide d’une seule question : comment un gouvernement peut-il prôner la laïcité, la neutralité, et mettre simultanément tous ces efforts pour s’ingérer dans la sphère religieuse ? 


Source : Shutterstock

web.lecollectif@usherbrooke.ca   More Posts
Scroll to Top