Dim. Mai 19th, 2024

Par Béatrice Petitclerc 

Le 28 juin dernier, Le Collectif a publié un article sur l’annonce ministérielle du 14 juin de Geneviève Guilbault, la ministre de la Sécurité publique, concernant un nouveau corps de police autochtone pour la communauté mohawk Kanehsatà:ke (Kanesatake). À cet effet, le Journal avait rencontré Lloyd Alcon, un expert en police des Premières Nations travaillant pour cette communauté, afin de recueillir ses commentaires sur cette annonce.  

Un aperçu de Lloyd Alcon 

Lloyd Alcon est un expert des services de police des Premières Nations, ayant plus de 15 ans d’expérience dans son domaine. Il a négocié un certain nombre d’ententes sur les services de police, dont celle de la Première Nation Listuguj Mi’gmaq dont il est membre, et travaille actuellement sur trois nouvelles ententes. M. Alcon a également été titulaire en chef du portefeuille de la sécurité publique auprès de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. 

La nécessité des corps de police autochtones  

D’entrée de jeu, monsieur Alcon souligne que les peuples autochtones prennent soin de leurs propres communautés depuis plus de 10 000 ans à partir de structures de gouvernance transmises de générations à générations. Ces structures culturellement adaptées assuraient le règlement des conflits par les membres, pour les membres d’une même communauté.  

Or, l’arrivée des Européens, puis l’imposition de politiques aucunement sensibles aux modèles de gouvernance établis et dans une langue inconnue ont eu des effets troublants sur l’autodétermination des peuples autochtones. Par ailleurs, nombreux sont les rapports gouvernementaux témoignant des inégalités des services de police entre les collectivités allochtones et les communautés autochtones découlant de ces politiques colonialistes.  

Déjà, en 1991, le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones révélait d’importantes lacunes entre les peuples autochtones et allochtones du Canada suivant plus de 150 ans de politiques gouvernementales. Il recommandait la reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples autochtones. Fait notable : cette commission nationale avait été créée dans la foulée de la crise d’Oka. 

C’est dans cet esprit que la Politique sur la police des Premières Nations fut adoptée en 1991. Son but était de permettre le développement de corps de police autogérés par les communautés et d’ainsi fournir des services policiers adaptés à chacune d’entre elles.  

Le démantèlement de Kanesatake en 2005 

Le lundi 12 janvier 2004, le Grand Chef James Gabriel a congédié le chef de police en pouvoir, Tracy Cross, puis nommé un nouveau chef de police, Terry Isaac. Cette décision avait été prise par une résolution du Conseil de bande alors qu’un accord secret avec le Solliciteur général avait été conclu dans un effort pour lutter contre la contrebande de cigarettes et le manque allégué d’interventions de la part du chef de police en pouvoir à cette fin.  

Ce même lundi, plus de 60 policiers provenant de plusieurs autres communautés autochtones du Québec arrivaient vers Kanesatake afin de soutenir le nouveau chef de police, monsieur Isaac.  

En réaction à ces événements, les dissidents du Grand Chef Gabriel ont mené un barrage de la route 344 et pris en otage les policiers arrivant en renfort. Le poste de police de Kanesatake a alors été vandalisé et la résidence du Grand Chef, incendiée. Cet incendie a mené à l’exil du Grand Chef pour une période de dix mois. 

Le 14  janvier 2004, après 36 heures de détention des policiers à Kanesatake, une entente a été conclue entre le ministère de la Sécurité publique ainsi que la commission de police locale. Cette entente prévoyait que le service de police de la communauté serait assuré par des Peacekeepers de Kahnawake et Akwesasne, deux communautés mohawks voisines, pendant au moins un mois afin de stabiliser les conflits. Les policiers détenus ont aussi été libérés et escortés hors de Kanesatake par des Peacekeepers. 

La patrouille des Peacekeepers venant de Kahnawake et Akwesasne n’a duré que brièvement et la Sûreté du Québec (SQ) prit la relève. Or, avec les événements de la crise d’Oka de 1990 encore frais dans la mémoire collective des membres de Kanesatake, la présence de la SQ était durement acceptée. Les patrouilles étaient donc rares et la communauté est demeurée dans un état de conflits entre les clans.  

Enfin, aux élections de juillet 2005, l’opposant de James Gabriel, Steven Bonspille, a été élu à titre de Grand Chef de Kanesatake. Ce dernier a fait la promesse de créer un corps de police indépendant de la sphère politique, mais des difficultés budgétaires et des négociations sans résultat avec les gouvernements provinciaux et fédéraux ont justifié l’échec du retour d’un corps de police à Kanesatake depuis plus de 15 ans. C’est d’ailleurs pourquoi l’annonce ministérielle du 14 juin 2021 était aussi surprenante.  

Le nouveau modèle  

Durant l’entrevue, monsieur Alcon indique que la plupart des ententes triparties entre le gouvernement fédéral, provincial et le Conseil de bande sur les corps de police étaient censées être axées sur la communauté. Puis, il mentionne que dans le cas des Mohawks du Québec, le gouvernement provincial souhaite régionaliser le service de police autochtone pour l’ensemble des trois communautés, soit Kanesatake, Kahnawake et Akwesasne, sans l’avoir consulté. 

Pour expliquer l’inadéquation de ce modèle souhaité par le gouvernement pour le peuple mohawk, monsieur Alcon rappelle la réalité particulière de Kanesatake, notamment en ce qui a trait aux problèmes de confiance que certains membres ressentent envers le service de police depuis des années. Il souligne qu’afin de regagner la confiance des membres, un corps de police entièrement indépendant de la sphère politique et sensibilisé aux particularités de Kanesatake sera nécessaire.   

C’est dans ce contexte que monsieur Alcon décrit le nouveau modèle envisagé par le Conseil de bande de Kanesatake tout en soulignant que sa portée totale est toujours en discussion. Ainsi, le modèle serait fondé sur la prévention des crimes, une réponse adéquate aux urgences et l’indépendance totale du service de police. Sur ce dernier point, une commission de police indépendante composée d’experts en police, de policiers en service ainsi que de conseillers juridiques serait créée. Les premiers policiers de ce nouveau corps seraient recrutés d’autres communautés mohawks et recevraient différentes formations par des agents expérimentés.  

En terminant, monsieur Alcon explique que l’objectif ultime du modèle serait d’embaucher des membres de Kanesatake afin d’assurer les services de police dans leur propre communauté. Cela permettrait de répondre aux motivations fondamentales des corps de police autochtones, soit la sensibilité aux réalités sociales d’un peuple, des services dans leur propre langue et le droit à leur autodétermination. 

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