Ven. Juil 26th, 2024

edito-societe-MichelBlanchardC’est quoi un Acadien? Rien pentoute. Du moins pour les jeunes universitaires francophones de Moncton à l’aube du printemps 1968.

Par Rodrigue Turgeon

Les balafres ardentes que portaient les survivants de la grande déportation les écorchaient encore lorsqu’ils revinrent se planter là où les Anglais avaient déraciné leurs ancêtres. Ce retour, bien qu’on l’ait cru impensable en 1713, n’allait pas pour autant vaincre des lustres de dominance impériale. Ainsi s’amorçait la lutte pour la reconnaissance des droits de ceux qui n’arrivaient pas à traduire leurs émotions

«On est tu Canadien-français ou Canadien-anglais?»

«On est des bâtards. On le sait pas ce qu’on est. C’est ça notre problème.»

Au-delà de ces effroyables questions, un constat bien pire gagnait les étudiants acadiens du Nouveau-Brunswick des années 1960.

«On le sait même pas si on est anglophones ou francophones!»

Tout ce qu’ils voulaient, au fond, c’était aimer. Aimer librement la langue qui animait leurs rêves.

Car l’absence de la reconnaissance de leur langue les tirait vers l’abîme d’un maelström. En bon français, comment fait-on pour révéler la personne que l’on est vraiment? En s’exprimant. Eh bien, imaginez-vous que même dans cette ville où 40% de la population était francophone, les Acadiens n’arrivaient jamais à traduîre ce qu’ils voulaient écrîre ou dîre [prononcez en chiac].

Plusieurs partageaient l’impression de croupir sous le joug d’une nation étrangère. L’administration des services publics, la rédaction des lois et la présidence des débats au conseil de ville: tout se déroulait en anglais. On eut dit que Shakespeare avait jeté Molière aux oubliettes.

Emprisonnés sur leur propre terre d’origine, les Acadiens étaient contraints à la résilience. Pour reprendre les mots d’un manifestant dépité : «Les Acadiens, on est très docîle, on s’en rend même pu compte à un moment donné tellement on est habitué de se laisser manger la laine sur le dos. C’est rendu chôse normale.» Le peuple traversait une passe qui s’annonçait de plus en plus morose.

Le Réveil acadien

Si les Néo-Brunswickois anglophones les plus radicaux crurent un jour que Molière finirait enfin par trépasser dans son cachot, c’était bien mal le connaitre. À Moncton, en février 1968, le phénix acadien revint à la vie pour une deuxième fois. Comme ce fut souvent le cas dans l’Histoire, les étudiants initièrent le bal. Oubliez les frais de scolarité, ce qu’ils voulaient c’était bel et bien aimer en français.

Il y avait tant à faire pour atteindre cette liberté. Certains considéraient même que la cause était perdue d’avance. Malgré le désir de victoire qui transportait les foules, une rumeur de mauvais augure secouait les rangs. «C’est impossible.»

En entendant ces mots, Michel Blanchard, véritable héros du mouvement, prononça un discours des plus brillants.

« Y a des chôses que tu connais pas pis y faut que tu les connaisses en agissant. C’est l’impossible qu’il faut que tu fasses, pas le possible! Le possible, les autres le font à toutes les jours. Ce que t’es sûr de faire, ils le font toutes! Mais c’est ce que t’es pas sûr de faire, c’est ça qu’il faut que tu fasses. Là tu vas avoir une vie qui va valoir la peine. »

Vous savez, ces mots si purs, si vrais, ce n’est pas parce qu’ils datent des années ’60 que vous ne pouvez pas en tirer une leçon.

Michel Blanchard venait du Nord, de Caraquet, un petit village pêcheur où, selon lui, 99% des gens parlaient français. Homme au charisme incroyable, c’était surtout son franc-parler qui forçait l’admiration. L’amour qu’il avait pour sa langue et sa ferme détermination qu’il n’y avait pas qu’au Québec qu’on pouvait s’épanouir en français inspiraient les troupes dans les moments les plus durs. Malgré l’ampleur du défi, jamais on ne le vit défaillir.

Pas une seule fois il ne manqua de leur répéter que leurs idées, leurs désirs et leurs amours inatteignables ne valaient rien tant qu’ils ne tentaient pas tout. Ensemble, ils se nourrirent de l’impossible pour goûter leurs passions. À mon sens, ce qui est le plus fantastique et noble dans cette lutte pour la reconnaissance de leurs droits, c’est qu’ils n’usèrent jamais de la violence.

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Je me sentirais mal de vous voler le punch, mais sachez tout de même que depuis la Constitution de 1982, le Nouveau-Brunswick est la seule province où l’anglais et le français sont tous deux reconnus comme langues officielles.

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Par l’Acadie, ce que j’ai essayé de faire, c’est de vous rappeler que s’affranchir d’un milieu qui nous empêche de nous exprimer pleinement nous fait gagner un monde où l’on peut enfin aimer simplement.

Je vous laisse avec Michel.

« Moi, j’vas te dîre que fondamentalement, au fond je pense que ça vaut pas l’coup. Que c’t’impossible.

J’vas essayer pareil. »

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